INESPÉRÉ

1. Un jour comme un autre

CHAPITRE 1

- Domu kharam ! Loy nelew beu heure bi melni amo liguey bouley kharr !
(Fille de chienne! Pourquoi tu dors jusqu'à cette heure ci!? Comme si tu n'avais aucune tâches en attente).

Je me réveille en sursaut, sentant un grand coup de balai sur mon corps.

Celle qui me couvre ainsi d'opprobres, c'est ma mère, celle qui m'a mise au monde.

- Gawal nga diogg, imbécile bi, sa rakk yi sougnou tardé dinala dorr beu nga dé.
(Lèves toi vite! Imbécile, si tes frères se retrouvent en retard par ta faute, je vais te tabasser jusqu'à ce que mort s'en suive).

Je me lève rapidement pour ne pas prendre d'autres coups et je me dirige vers la cuisine où je chauffe l'eau pour la douche de mes cadets et m'attelle vite à la préparation du petit déjeuner.

Ma mère s'est séparée de mon père depuis belle lurette. Elle s'est ensuite remariée avec Tonton Dramé, un vieux transitaire assez riche, même si nous, on a jamais jouit de ses prétendues richesses. Elle a eu avec lui deux filles (Bintou et Fatima) et deux jumeaux (Aly et Ousmane).
En plus de ces demi-frères et sœurs, il y avait aussi les enfants des co-épouses de ma mère. Tonton Dramé était un vrai polygame, il avait deux autres épouses en plus de ma mère, sans parler des deux autres qui avaient été repudiées à un moment ou à un autre. En résumé, le gars est passé entre les cuisses de 5 femmes sans être aucunement inquiété par le jugement de la société. Non, ce jugement ne s'applique qu'aux femmes, ces êtres faibles qui n'ont été créées que pour satisfaire le sexe fort.

J'en étais là dans mes réflexions quand ma mère me demande de faire du rouye (bouillie de mil) pour le petit déjeuner de son mari.

Comment vous dire ?

Dans cette maison, je suis la bonne à tout faire de ma mère. Elle n'a aucune considération pour moi tant et si bien, que toute la maisonnée me traite comme une moins que rien. Seuls Binette et Aly me témoignent un peu de gentillesse.

Je me hâte de préparer le rouye demandé avant d'aller disposer les seaux d'eau chaude aux portes des deux salles de douche pour mes cadets, ma mère et Tonton Dramé.
Quand tout le monde futt parti (école, travail, chez des amis ...) me laissant cloîtrée seule à la maison, je respire enfin. Je fais le ménage, la cuisine, je range les affaires que mes cadets ont mis pêle-mêle, et je termine par le dîner. Je suis enfin libre. Mais je n'ose pas dormir, je vais m'assoir à l'entrée de la maison, sous le Nimm (arbre très présent dans la flore du Sénégal) pour m'aérer et penser à ma triste vie.

Depuis la mort de mon père, à mes 12ans, je n'ai plus eu le droit d'aller à l'école. Ma mère avait besoin de quelqu'un qui l'aiderait dans ses tâches ménagères (autant dire une mûle) et j'étais toute désignée à ça; pendant ce temps, ses enfants avec Dramé avaient le droit d'aller préparer leur avenir dans le temple du savoir.
N'eût été notre ressemblance flagrante, il aurait été juste de se demander si cette femme était réellement l'auteure de mes jours. Elle était ignoble avec moi, ne me parlait que pour m'insulter, dire du mal de mon père et de ma famille paternelle, ou alors pour me donner des ordres concernant le travail ménager. Tout cela, juste à cause d'un mariage désastreux avec mon père, oubliant que moi, je n'avais rien demandé.
Le soir, après toutes mes corvées, j'étale ma natte sous la véranda pour la nuit. Je n'avais pas le droit de dormir avec les autres filles, vu qu'elles étaient déjà assez nombreuses dedans. J'étais tellement dans mes pensées que je n'ai pas senti Morphée m'emporter.
Voici une journée tout à fait ordinaire dans la vie de Asta Ibrahim Dieng.

Plusieurs semaines plus tard, nous étions rassemblés autour des grands bols de thiebou dieun pour le déjeuner. Tonton Dramé était exceptionnellement présent ce jour-là. On le voyait généralement le soir et il prenait son dîner à part.
Le repas se passa dans une bonne ambiance puisque le vieux était assis, aucune pique, aucun colibet, aucune injure n'avait été lancé par les trois co-épouses.
A la fin du repas, alors que je debarasse, j'entend tonton Dramé dire à ma mère :