Je n'ai jamais été aussi furieuse de toute ma vie. De retour chez moi, je claque la porte de mon appartement en vociférant : « comment ose-t-elle faire ça ». Je m'affale dans le canapé en attendant que ma fureur retombe. Contrariée, je n'ai le courage de bouger que pour préparer le dîner avec Angi. Interloquée, celle-ci ose à peine m'adresser la parole. Pendant que nous mangeons, je ne peux m'empêcher d'être amusée par cette réserve :
- Je ne vais pas te manger, tu sais. Tu peux me parler.
- C'est que tu as l'air si en colère.
- Ce n'est pas à toi que j'en veux.
- Tant que ça ?
- Je lui ai demandé de ne pas faire de mal à Maddie. Et elle, elle fiche tout par terre.
- Je croyais que tu ne voulais pas t'en mêler.
- C'est elle qui est venue me voir au départ. Je lui faisais confiance.
- Je comprends. Maddie a l'air tellement triste depuis quelques jours.
- Tu veux qu'on l'invite à dîner ?
- Pourquoi pas. Dis-lui de venir demain soir.
- D'accord. Je t'enverrai un message pour te prévenir si elle est partante.
- Ce serait gentil.
Cette initiative parvient à me calmer momentanément. Angi tient parole. À la pause déjeuner du lendemain, je reçois un message de sa part me confirmant la venue de Maddie le soir-même. Soucieuse de lui plaire, je prépare cette rencontre en amont et soigne la présentation de mes plats. Je termine à peine quand elles arrivent. Nous nous installons au salon pour l'apéritif. Même si Maddie fait bonne figure, sa tristesse est flagrante. À l'initiative d'Angi, la conversation dérive peu à peu sur un seul sujet : Yaëlle.
- Tu t'es vraiment énervée contre elle ? me demande Maddie.
- Oui. Je lui faisais confiance moi.
- Tu savais qu'elle était comme ça ?
- Pour être honnête, sa réponse ne me surprend pas. Elle a toujours été du genre tête brûlée, tout en sachant se fixer des limites. Mais elle n'a jamais dépassé les bornes avec les filles. Pourtant, je pensais qu'avec l'âge, elle deviendrait plus mature.
- Elle pourrait faire ton bonheur si elle se décidait, confirme Yaëlle.
- Je pensais vraiment qu'elle s'était calmée. Excuse-moi Maddie.
- Tu n'as pas à être désolée. Je ne regrette pas ce qui s'est passé entre nous.
D'une infinie sagesse, Maddie ajoute : « tu ne devrais pas lui en vouloir. Après tout, ce n'est pas si grave ». Je suis rassurée, mais pas soulagée pour autant. J'ai le sentiment que ce moment passé ensemble lui fait du bien. Le repas lui plaît. Elle est de plus en plus détendue et blagueuse. À la fin de la soirée, elle nous remercie chaleureusement. Une fois en tête-à-tête, Angi m'interpelle :
- Ça fait longtemps qu'on n'est pas sorties ensemble toi et moi.
- Oui c'est possible.
- Et si on allait au restaurant ?
- Oui pourquoi pas. Ça peut être chouette.
- Que penses-tu de ce samedi ? C'est moi qui m'occupe de la réservation.
- Ça me va.
Cette entente conclue, nous remettons de l'ordre dans l'appartement avant de retrouver notre lit douillet. Je me remets totalement à elle pour ce rendez-vous. Elle insiste pour que nous nous retrouvions sur place. J'arrive à l'heure précise, mais je constate qu'Angi est déjà là. Elle est assise à une table beaucoup trop grande pour deux. Elle me salue la première et m'invite à me joindre à elle. Pendant que je m'installe, je m'étonne de la situation :
- Cette table n'est pas un peu démesurée ?
- Je ne trouve pas.
- Tu as déjà commandé ?
- Non. Je préfère attendre. Maddie et Yaëlle ne devraient pas tarder.
- Maddie et Yaëlle ?
- Je les ai aussi invitées.
- Je croyais qu'on devait être que toutes les deux.
- Je croyais que tu aimais tes amies ?
- Tu me revaudras ça plus tard. Tu es au courant ?
- Bien sûr.
Je soupire et affirme fermement :
- Je n'ai pas envie de voir Yaëlle.
- Je n'en doute pas. C'est pour ça que je lui ai dit de venir. Vous ne pouvez pas rester fâchées.
- Elle doit m'en vouloir aussi. La dernière fois que je l'ai vu, je l'ai tabassé avec un coussin.
- Je sais. Je lui ai parlé. Pour ta gouverne, elle est moins rancunière que toi.
- Et pour Maddie ?
- Il faut qu'elles se parlent. Elles sont faites l'une pour l'autre. Toi tu refuses de t'en soucier, pas moi.
- Si je comprends bien, tu veux nous réconcilier de gré ou de force.
- C'est un peu l'idée.
- Petite cachottière.
- Tu savais à quoi t'en tenir quand tu m'as demandé en mariage.
Un rictus s'échappe de ma bouche sans que je le veuille. Yaëlle arrive peu après. Nos salutations sont glaciales. Angi et Yaëlle se contentent de discuter entre elles jusqu'à l'arrivée de Maddie. Elle est aussi surprise que moi :
- Je ne pensais pas que nous serions si nombreuses, s'étonne-t-elle.
- Je suis soulagée de voir que je ne suis pas la seule à qui on cache des choses, je réplique immédiatement.
Passé ce léger malaise, nous passons commande. Nos conversations sont truffées de sous-entendus. Tout au long de la rencontre, Angi plaide comme elle peut la cause de Yaëlle. Même si cela ne m'atteint pas particulièrement, je suis touchée par ses efforts. Mon ressentiment envers Yaëlle reste tenace. Maddie quant à elle n'y prête pas réellement attention.
Nous gardons notre calme malgré nos différends. Nous restons courtoises les unes envers les autres. Jusqu'à ce que les choses s'enveniment entre Yaëlle et moi. Une remarque de sa part me fait bondir :
- Merci Angi. Au moins, je peux compter sur toi.
- Pardon ? Tu dois faire erreur. Angi n'est pas la seule à t'avoir tendu la main.
- C'est mon ressenti ces jours-ci. Elle au moins est de mon côté.
- Je suis de ton côté, mais je ne peux pas l'être quand tu me déçois.
- Je pensais qu'on se connaissait suffisamment pour se faire confiance.
- La confiance, ça se mérite. Quand une amie te rend service, la moindre des choses c'est de ne pas la décevoir.
- Je t'ai dit que j'étais désolée.
- Tu crois que ça suffit ?
- C'est drôle, je croyais que tu voulais rester en dehors de ça.
- Dois-je te rappeler qui m'a demandé de l'aide ? Et toi tu me poignardes dans le dos !
Sur ces derniers mots, je me lève de table. J'abandonne mon plat entamé et quitte les lieux sans me retourner. Après un instant de silence, Yaëlle se tourne vers Maddie : « je ne suis pas volage. Je suis loin de courir les filles. Quand j'aime, c'est entièrement. Même si on voit les choses différemment, j'ai toujours été loyal envers toi. Fais ce que tu veux de ça. Au moins j'aurais été honnête. » Puis elle part à son tour, laissant Angi et Maddie entre elles. Une fois rentrée, je me dirige directement dans ma chambre pour m'allonger sur mon lit. Seule, je me laisse complètement aller. Je fonds en larmes. J'évacue toutes mes frustrations par ces pleurs.
Je suis dans le même état quand Angi revient à son tour. Je l'entends m'appeler, mais je ne réponds pas. Elle me retrouve et s'installe près de moi :
- Tu es fâchée ?
- Oui.
- Je suis désolée.
Je me redresse légèrement :
- À quoi tu pensais en faisant ça ?
- Je voulais vous réconcilier. Je n'imaginais pas que ça envenimerait encore plus les choses. Je ne supporte pas de vous voir en froid. Je vous aime trop toutes les deux.
- Tu aimes Yaëlle ?
- Évidemment. C'est ma copine aussi. C'est pas pour rien qu'on l'a invité à notre mariage.
- Rien n'est décidé. Les cartons ne sont pas encore envoyés.
- Arrête. Tu veux autant que moi qu'elle vienne. Ça te briserait le cœur si elle ne venait pas.
- C'est vrai.
Angi m'admire une minute avant de reprendre :
- Tu as pleuré ?
- Un peu. Beaucoup en fait.
- Raison de plus pour arranger les choses.
- J'ai encore de l'amertume contre elle. Moi aussi je voulais que ça marche avec Maddie.
- Je sais. Elles méritent le bonheur.
- Tu croyais vraiment que ça allait marcher ?
- J'avais un espoir.
Je sèche mes dernières larmes pendant qu'Angi me serre contre elle. C'est elle qui me motive à me lever et avancer.
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Nous avant tout [girlxgirl]
Romance[En Pause] Camille et Angi s'aiment. Ensemble depuis l'université, elles forment un couple fusionnel et passionnel. Entourées de leurs inséparables amies, elles essaient tant bien que mal de préserver l'équilibre de leur couple malgré leur vie profe...