Le Virtuose

Chapitre 9 - La curiosité est un vilain défaut

Tosse avait été trop impulsif, trop curieux. Comme d'habitude, il avait fallu qu'il n'en fasse qu'à sa tête et qu'il en oublie ses propres devoirs. D'accord il était jeune, mais la jeunesse et l'inexpérience ne pouvaient pas tout excuser. Encore moins la mort de six de ses camarades. Six moines-gardiens avec qui il avait partagé des moments de joie ou de peine. Des frères et des pères. Des mentors.

Car c'était bien lui qui les avait tués.

Pas de ses propres mains non, sa naïveté avait fait le plus gros du travail. Et son impatience le reste. Toute action avait des conséquences et les siennes avaient permis à bon nombres de prisonniers de se libérer de leurs chaînes. Résultat, de violentes émeutes s'en étaient suivies. Des émeutes qui n'avaient pu être contenues qu'au prix de la vie de ses camarades. Le jeune moine peinait encore à le croire, même alors qu'il avait leurs corps sous les yeux. Avait-il vraiment déclenché tout cela ?

Son regard passant sur chacun d'entre eux, il s'arrêta finalement sur celui d'un moine plus grand que la moyenne. C'était Beylim, l'un des moines partageant son étage, le quatrième sous-sol. Quelqu'un de bien, qui n'avait jamais fait de mal à une mouche et qui parlait toujours calmement. Jamais un mot plus haut que l'autre. Beylim leur rabachait sans cesse son rêve d'aller un jour s'installer ailleurs pour créer son propre potager, vendre ses légumes aux habitants de son village natal.

Tosse se demanda si c'était lui qu'il avait vu cette nuit, juste avant que tout ne parte en vrilles. Sur le coup, il n'aurait pas dit qu'il s'agissait de Beylim, mais il était tard et Tosse somnolait à moitié quand ils s'étaient parlé. Le jeune garçon sentit les larmes lui monter aux yeux à cette idée.

Tout le monde avait été réuni dans la grande salle commune. Un hall immense qui comportait plusieurs rangées de tatami en paille de riz et en jonc tressé. En son centre se dressait une plateforme surélevée en pierre lisse, fissurées en quelques endroits, et sur laquelle avaient été disposés les corps des six moines. C'était dans cette salle circulaire, entourée de piliers décorés de longues tapisseries bleues et blanches, que les combattants comme les non-combattants se retrouvaient parfois. Rarement.

Il y avait des moines-gardiens comme Tosse, chargés de la surveillance de la prison, mais aussi ceux défendant le monastère des potentielles menaces extérieures. Ces derniers n'existaient pas avant l'invasion noxienne. Nouvelle époque, nouvelles mesures. Et il y avait le reste des moines, les jardiniers, les cuisiniers, les artistes et les érudits, avec qui Tosse et les siens n'entraient en contact qu'en ce genre d'occasion. En général, c'était le haut-moine qui les réunissait. Tuula Elann. Tosse n'avait dû l'apercevoir qu'une demi-douzaine de fois depuis qu'il vivait au Monastère – depuis presque toujours en somme. Car malgré le culte que lui témoignaient tous les moines, le vieil homme était généralement reclus dans ses quartiers, au sommet du fer de lance. La tour principale du Monastère de Tuula. Une merveille architecturale datant d'une autre ère des terres premières.

- « Beylim, Ohja, Beylim... Haloï et Lemme... même Jaro... », se lamenta une voix derrière le jeune garçon, « toutes ces morts inutiles... des frères disparus à jamais. Comment on en est arrivés là ? »

Tosse aussi se le demandait.

- « C'est la faute de ce gamin », lui répondit quelqu'un, « si cet idiot de Tosse n'avait pas abandonné son poste, on en serait pas là. D'ailleurs qu'est-ce qu'il fait là ? Il ne voit pas qu'il insulte leur mémoire en se tenant ici... Quel gachis. »

Une troisième voix s'ajouta alors aux rumeurs, une lame supplémentaire venant percer le cœur du jeune moine. Mais il n'était plus à ça prêt maintenant, et personne ne le détestait plus que lui-même.

- « J'ai toujours dit que le gamin n'avait pas l'étoffe d'un gardien. Trop turbulent. Il aurait dû être jardinier ou nettoyeur, là au moins il n'aurait pu causer la mort de personne. »