Chapitre 7

10 1 0
                                    


Alexis

Le 15 juin 2058, j'entrai à l'Elysée. Je m'apprêtais à changer l'histoire de mon pays. À façonner la nouvelle image de la France. Mon nom est Alexis d'Argentière, je suis le descendant d'une famille française dont l'arbre généalogique remonte à François Ier. Après la Révolution française et pendant des siècles, ma famille avait influencé la politique du pays par le lobbying. Soufflant les idées qui transfigureraient le pays en maintenant l'ordre. Il y avait eu des périodes de succès mais aussi des révoltes, quand nous n'arrivions plus à anticiper les désirs du peuple...

 
Mais tout cela n'avait plus d'importance, car, de l'Histoire de mes ancêtres, je ne garderais que l'aptitude à diriger transmise de génération en génération. Pour faire oublier la particule de mon nom, je m'étais présenté au public comme le jeune homme refusant son héritage de nanti* et gravissant les échelons par son travail. C'était ce labeur qui avait fait de moi la nouvelle figure de la France. Le récit initiatique du héros, un atout de séduction pour une société friande de drama. Je désirais ardemment que les brillantes idées d'humanisme resurgissent et que mon pays retrouve sa puissance. Aujourd'hui, la France était divisée, appauvrie, esseulée. En proie à une crise climatique qui bientôt décimerait les populations les plus faibles. Je ne pouvais me résoudre à laisser mon pays sombrer ainsi. Il fallait rompre avec l'Histoire et créer une gloire nouvelle qui ne reposerait plus sur les idées de la Révolution française et du colonialisme. La clé de ma popularité se trouvait là : la promesse faite au peuple d'un nouveau mythe fondateur qui lui correspondrait enfin. Ramenant les anciens mythes à ce qu'ils sont : des lignes de livres d'histoire comme les autres.

 
Je me présentais aux élections présidentielles et les remportais. Pour prouver ma bonne foi, je commençai immédiatement à faire travailler sur le sujet des intellectuels de tous horizons. L'objectif, lancer une campagne de recherche publique redéfinissant la citoyenneté française. Je voyais là une manière de faciliter l'acceptation des réformes. La France avait subi des épreuves qui l'avaient divisée. Mon premier devoir était de la réunifier. Je constituai un gouvernement qui pourrait m'épauler dans cette tâche et je nommai Lucien Fermille Premier Ministre.
Lucien était mon ami d'enfance. Il était mon double, mon soutien indéfectible, il me motivait à chaque étape. Je lui faisais confiance comme à moi-même. Je me souviens de nous au lycée, tout le monde voulais lui ressembler, on l'admirait dans tous les cercles. Il avait un pouvoir magnétique et c'était l'un des rares élèves à avoir une conscience politique. Pendant mon adolescence, je n'avais pas vraiment une haute estime de moi. J'étais extrêmement introverti. À l'époque, je voulait devenir écrivain. Lucien était venu vers moi. Il avait trouvé un de mes carnets dans lesquels j'écrivais toutes mes idées pour un monde meilleur. Il m'annonça de sa voix envoûtante qu'il l'avait lu de bout en bout et que, selon lui, je ne serais pas écrivain. Lucien avait d'autres projets pour moi. À partir de cet instant, il employa sa notoriété pour faire connaître mes idées. Il avait construit une partie du personnage public que j'étais devenu.
Au début du mandat, Lucien me demanda s'il pouvait superviser la campagne de recherche publique. Je le lui accordai sans sourciller. J'aurais bien voulu de son aide sur de nombreux sujets. C'était un vrai soulagement de le choisir pour me représenter, pendant que je gérais les affaires les plus pressantes du pays.


Un an après mon investiture, nous organisions la rencontre entre les membres du gouvernement et la direction de la recherche. Je fus surpris de voir deux équipes et non une. Je ne me souvenais pas d'avoir signé le budget pour les deux... Lucien avait l'air très sûr de lui, il fit une présentation remarquable des enjeux et attentes du projet. C'était lui qui avait superbement écrit tous mes discours pendant les élections. Il était un orateur d'exception, j'étais fier de l'avoir comme bras droit.
Il devait y avoir une raison pour la deuxième équipe... Je lui demanderais des explications plus tard, cela pouvait attendre. La réunion se passa tout à fait normalement. J'étais excité à l'idée de voir mon rêve se réaliser. L'Élysée avait organisé une réception avec buffet pour les convives. À la fin de la présentation, tout le monde se leva pour aller boire et manger. J'attrapais un verre de cocktail et j'y trempais à peine mes lèvres que Lucien me rejoignit.

La France GriseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant