Lena
Le 6 janvier 2066, j'étais à la maternité de Reims pour accoucher des jumelles. J'avais laissé Tamsir chez des voisins, n'ayant personne d'autre à qui le confier. Thomas travaillait encore, il n'avait pas pu se libérer de son poste à l'usine de production énergétique. La seule famille qui nous restait en France, c'était une de ses tantes vivant dans le Sud. À cause des émeutes nationales, toutes les gares et aéroports avaient fermés, comme à chaque anniversaire de la nouvelle République. Impossible pour elle de venir. Mes contractions avaient commencé en début de soirée. J'étais inquiète car il arrivait que les hôpitaux manquent de personnel la nuit. Peu après mon entrée, je fus rassurée par l'arrivée de la sage-femme de garde. C'était le numéro F-1 93 10 31 54 7675-C, mais elle me demanda de l'appeler Rachel. L'accouchement se passa sans difficultés. Elle me guida à travers ce moment de douleur et d'extase. Les progrès en terme de confort pour les accouchements étaient devenus fulgurants au moment où la population mondiale s'était rendue compte de son déclin. Le suivis était de qualité, et le bien-être des mères supérieur à tout ce qu'on avait connu. Plus besoin de néonat, même pour les jumeaux.
Au bout d'une demie-heure, les deux enfants vinrent au monde. Je n'avais pas eu besoin de pousser. Après avoir vérifié leur rythme cardiaque et respiratoire à l'aide d'une bandelette métrique, Rachel me remît mes deux anges dans les bras.
Il était deux heures du matin. J'étais en nage, mais soulagée. Quand Thomas arriva vers trois heures, je l'accueillis souriante et comblée. En voyant le berceau où dormaient nos filles, son visage afficha le même sourire béat que moi. Je passais le reste de la nuit à l'hôpital pour me reposer. Malgré sa fatigue, Thomas veilla toute la nuit sur nous. Quand je me réveillais le lendemain, vers neuf heures une gynécologue et un pédiatre arrivèrent pour nous examiner.— Tout est en ordre, faites bien attention à les protéger du soleil. Je vous ai fait une prescription pour des crèmes adaptées à leur peau. Il faudra faire des visites médicales régulières pour vérifier l'état de leur vue et de leur ouïe. Mais sinon, elles sont en bonne santé.
Nous pouvions enfin regagner la maison. J'avais préparé des mois à l'avance le nécessaire pour les petites. Les produits pharmaceutiques dont les filles auront besoin étaient devenus extrêmement rares et chers, pas question de les acheter sur le marché noir. Nous avions économisé chaque mois depuis l'annonce.
Tamsir nous attendait avec impatience. Je lui avais parlé cinq minutes au téléphone pour le rassurer. Nous le retrouverions pour manger ensemble à midi. Nous avions à peine déposé nos affaires, que la sonnette retentit dans l'appartement. Il déboula dans le salon, mais arrivé vers nous il se mit à marcher sur la pointe des pieds et à chuchoter :
— Alors, elles ressemblent à quoi mes petites sœurs ?
Il souleva doucement le drap qui recouvrait le landau et s'exclama :
— Waou ! Elles sont toutes argentées ! Elles brillent, est-ce qu'elles vont avoir un œil de la même couleur que moi ?
Il câlina leurs mains avec précaution et admiration.
— Tu veux leur faire un bisou ?
Il hocha la tête négativement, je voyais qu'il était impressionné par leur apparence fragile. C'était les premiers bébés qu'il voyait IRL. Je pris Tamsir sur mes genoux et je l'embrassai tendrement, puis je remis le drap en place, la luminosité était forte.
— Elles auront les deux yeux comme ton bel œil mauve.
— La chance, elles seront trop belles !
Thomas vînt s'assoir à côté de nous. Nous savions dès les premières analyses du liquide amniotique que les jumelles seraient albinos. Ma famille était porteuse de ces gènes mutants. Thomas, lui l'avait découvert avec la naissance de Tamsir. L'histoire de mon arrière-arrière-arrière-grand-père était relatée à tous les repas de famille. Ma grand-mère nous la racontait et à chaque fois j'étais admirative. Il était temps que je la transmette à Tamsir. Je m'installais confortablement et commençais mon récit.
« Quand Noah naquit, il ne ressemblait à aucun autre enfant dans son quartier. Sa couleur de peau et de cheveux oscillait entre l'or et l'argent. Son père, un homme sans science ni coeur, l'abandonna. Voyant dans sa couleur un signe de malchance. Mais sa mère, elle, le chérit et le protégea des sorciers et autres fanatiques qui voulaient lui faire du mal. C'était une femme courageuse comme tout parent seul s'efforce de l'être. Elle travaillait dur pour que son enfant ait une bonne éducation. C'était une couturière hors-pair, qui fabriquait de beaux habits à partir de pas grand chose. De sorte que Noah était toujours bien habillé et personne n'osait se moquer trop longtemps de lui malgré son apparence différente. Quand il rentrait de l'école, elle lui disait pour l'encourager :
« Tu partiras loin de ces vautours et tu verras, mon fils, tu seras toujours heureux. »
Malheureusement, le destin l'emporta tôt et Noah se retrouva seul à 14 ans. Pour ne pas finir enfant-soldat, ou pire, persécuté et tué pour sa couleur de peau, il fuit le Ghana pour la France. Un périple digne des plus grandes odyssées. Une aventure très dure qui avait failli lui coûter plusieurs fois la vie et sa liberté.
Il avait traversé le Sahara brûlant avec une caravane de Touaregs, pour qui il rapiéçait les vêtements usés. Arrivé en Libye, il s'était retrouvé seul. Il avait alors habité, caché, dans les collines autour de Tripoli pour échapper aux marchands d'esclaves. Il lui fallut alors trouver le courage et l'argent pour traverser la mer Méditerranée à bord d'un petit bateau partant pour l'Italie. Enfin, une fois de l'autre côté de la mer, il réussit à survivre à l'hiver dans les Alpes grâce à des fermiers bienveillants qui aidaient ceux qui voulaient rejoindre l'Europe.
Il avait finalement accomplit son destin, affronté la solitude, la peur, la faim. La traversée des ténèbres. Sa confiance en lui et ses dons de couturier transmis par sa mère lui furent d'une grande utilité pendant le périple, comme à son arrivée en France. Qu'elle ne fut pas sa surprise quand il réalisa que son physique atypique était l'élément qui lui permettrait de percer dans la mode. Après toutes ses épreuves, il finit par réaliser les rêves de sa maman : il fonda un foyer en Europe et fut heureux...
Et c'est pour ça que de temps en temps des enfants lumineux aux yeux violets naissent dans notre famille... ».
Tamsir s'était paisiblement endormi dans mes bras. Il n'avait pas dû beaucoup dormir la nuit précédente à cause de l'excitation. Je ne lui racontais donc pas la dernière partie de l'histoire. Celle où Noah déchirait ses papiers Ghanéens une fois la nationalité française acquise. De toute façon, il n'avait pas encore toutes les notions pour concevoir la signification de ce geste et ce que cela impliquerait pour nous.
Quand la nouvelle République prit le pouvoir avec Lucien Fermille à sa tête, de nombreux Français ayant la double nationalité partirent, révoltés par les nouvelles lois. Les territoires ultramarins et étrangement la Corse acquirent leur indépendance par la force et chassèrent tous ceux qui voulaient accepter le nouveau régime. De toute façon, ils étaient bien trop difficiles à intégrer dans l'unité nationale et n'intéressaient plus la Métropole depuis longtemps. Ces poussières de territoires ne rapportaient plus de prestige dans le nouvel ordre mondial. La France avait déjà récupéré tout ce qu'elle voulait d'eux, ils pouvaient bien garder les cailloux restant.
![](https://img.wattpad.com/cover/312092819-288-k898655.jpg)
VOUS LISEZ
La France Grise
Ciencia Ficción2058. La France bleue, blanc, rouge n'existe plus. Les couleurs vives se sont délavées au fil du temps. La France s'est polarisée et éclatée. L'unité nationale anéantie. Un nouveau Président plein de promesses d'égalité est élu. Il décide de s'attaq...