La France Grise

Chapitre 13

Thomas

Le jour de la réception promise par Mr Garance, le fameux colis arriva. Une belle boite rouge avec à l'intérieur un costume trois pièces comme ceux réservés aux cadres. C'était Lena qui avait signé le reçu du robot-livreur. Je siestais dans le canapé et j'avais complètement oublié cette histoire de soirée. Les filles dormait paisiblement dans notre chambre et Tamsir était chez un copain pour l'après-midi. Elle posa la boite près de moi avec un petit fracas, histoire de me réveiller. 

— Tu changes de métier sans me prévenir ? 

— Bien sûr que non Lena ! répondis-je en me réveillant groggy.

Je ne comprenais pas à quoi elle faisait allusion. J'ouvris les yeux et la regarda. Elle pointait du doigt la boite. En le suivant du regard et je tombai nez à nez avec le costume. Merde ! J'avais complètement zappé de lui en parler ! J'espérai qu'elle ne soit pas trop fâchée. Je lui racontais la discussion que nous avions eu avec mon directeur et lui demandai son avis.

— Tu es fatigué mon amour et tu as envie de nous protéger des tracas de la vie. Mais si tu acceptes, est-ce-que tu te crois capable de vivre avec de la culpabilité toute une vie ? Tu ne penses pas que c'est une épreuve bien pire ?
Je la regardais dans les yeux. Elle me sourit, rassurante et confiante. Elle m'attrapa et posa sa tête sur mon épaule. 

— Ne t'inquiète pas Thomas, tout ça c'est passager, bientôt les filles vont grandir et je reprendrai un emploi pour te laisser souffler un peu plus.

Nous avions réfléchi le reste de l'après-midi et la conclusion restait la même : Il était hors de question que j'accepte de travestir mes valeurs et celles de notre famille pour un peu plus de confort matériel. Lena m'avoua qu'elle entendait de plus en plus de commérages au sujet de Mr. Garance. On racontait qu'il était en bonne position pour devenir le directeur national de l'E.P.F et qu'il avait des moyens pour faire chanter le gouvernement... De bien curieuses histoires. Avec Lena nous priions pour voir changer les choses en France. Ce qui se dirait à cette soirée serait certainement intéressant.
La boîte s'ouvrait à l'aide du pass remis il y a quelques mois par le fameux directeur. Posé au-dessus du costume, une autre carte magnétique indiquant les informations suivantes :

« On viendra vous chercher à 19 h soyez prêt, présentez cette carte au chauffeur. »
Pas d'adresse ou d'autre repère indiquant où la soirée aurait lieu. Comment pourrais-je revenir à la maison ensuite ? À quelle heure ? La fête serait certainement sous l'emprise d'un brouilleur. J'activerais quand même mon CoM* pour être sûr de pouvoir joindre Lena une fois dehors.
Quand je finis de me préparer, je me regardai dans le miroir. J'éprouvai une sensation étrange. Comme si je ne me reconnaissais pas. J'avais oublié que l'homme dans le reflet ne pouvait être que moi. J'étais grand, la peau brun foncé avec des yeux aciers presque bleus, vifs et brillants. Depuis des années je ne les voyais que d'un gris morne. La coupe de cheveux réglementaire courte et efficace, mettait en valeur mes pommettes saillantes et mon nez effilé.

— Tu es beau Thomas.

Cela faisait des années que je ne m'étais pas vu comme ça. Je craignais que la vanité transpirant de ces vêtements ne m'atteigne. J'étais comme Cendrillon, le soir du bal.
Un véhicule solaire klaxonna devant notre immeuble. Je demandai à Lena de photographier la plaque numérique au cas où. J'enfilai mon manteau et sortis. Je passais la carte magnétique sur la porte arrière qui s'ouvrit d'elle-même, le chauffeur ne prononça pas un mot alors que je m'engouffrai à l'intérieur. Je montrai de nouveau la carte, il démarra. Pendant le trajet je me mis à penser à ce qui m'arriverait si on m'arrêtait pour un contrôle d'identité dans cette tenue. Sans l'insigne officiel des cadres et un justificatif de Service Citoyen, je risquais gros. La voiture s'arrêta, je sortis dans le froid mordant, un courant d'air me glaça le sang.