Chapitre 24

7 1 0
                                    

Kevin

Les semaines de bac commencent à être rudes. Les spécialités sont déjà passées pour laisser place aux matières du tronc commun et surtout le grand oral. Je ne sais pas si j'aurai mon bac. Bien sûr, je n'en ai pas parlé à Kylie pour ne pas l'inquiéter, je veux qu'elle se concentre sur le sien. Pour le contrôle continu, je ne vais pas gagner beaucoup de points. Avec tous mes cours séchés et mes notes laborieuses, je ne vais pas aller bien loin. Heureusement, pour moi, Kylie est entrée dans ma vie et m'a mis dans le droit chemin, mais ça ne va malheureusement pas suffire. J'ai essayé de faire mon maximum sur les épreuves et je vais tout donner pour mon oral. Pour détendre un peu l'atmosphère, le bal a lieu en fin de semaine prochaine. C'est une bonne nouvelle, j'ai hâte d'y aller et voir Kylie dans sa magnifique robe. Mais cela signifie aussi la fin de l'année scolaire, ce qui ne m'enchante pas trop. Même si je dois l'avouer, ce ne sont pas les cours qui vont me manquer. La semaine est plutôt tranquille, bien qu'elle soit dure. Nous passons nos matinées à faire les épreuves écrites, tandis que quelques-uns passent leur oral l'après-midi. Kylie passe aujourd'hui, quant à moi, je passe vendredi. Je lui souhaite bon courage et la laisse aller, j'espère vraiment que tout va bien se passer pour elle, même si je n'en ai aucun doute là-dessus. En attendant, je reste devant le lycée, patient, mais aussi angoissée qu'elle. Les secondes me paraissent devenir des minutes et des minutes devenir des heures. Au bout de quarante minutes, je la vois apparaître et m'approche à grands pas.

- Alors ?

- Ça va, je ne dirai pas que ça, c'est bien passer, ni que ça, c'est mal passer. Je dirais que ça, c'est juste passé.

- Attends, comment ça, ça, c'est passé ? Tu as foiré ? Toi, tu n'as pas réussi ? Mais qu'est-ce que cela sera pour moi ? Oh là , c'est bon, je panique.

- Tu verrais la tête que tu fais, dit-elle en rigolant. Je rigole, je suis tombée sur ce que je connaissais le mieux et les jurés sont hyper sympa.

- Ne me fais plus jamais une vanne comme celle-là. J'ai failli faire une crise cardiaque là.

- J'ai vu ça.

Kylie continue de se marrer, alors que je reprends mes esprits et ralenti mon cœur. Nous passons le reste de l'après-midi dans le bar et au Vieux-Pont. Nous sommes allongés sur l'herbe, face au cours d'eau, absorbant la chaleur des rayons du soleil. Quand je sens Kylie me regarder avec insistance, puis détourner le regard pour ensuite retourner ses yeux sur moi. Je fais mine de ne rien voir et ferme les yeux. Elle veut me demander quelque chose, mais n'ose pas, je commence à bien la connaître, ce qu'elle a à me dire doit être délicat pour qu'elle mette autant de temps à se lancer. Toujours les yeux fermés, je dis :

- Tu vas te lancer un jour, ou attendre que je te tire les vers du nez ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Ne fais pas l'innocente, je te connais et tu as envie de me demander quelque chose qui je suppose doit être important.

- Je... Heu... Je-

- Tu ?

- Je me demandais, enfin si tu veux, tu n'es peut-être pas prêt. Laisse tomber, je me mêle de ce qui ne me regarde pas.

- Dis toujours.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ce soir-là, avec ton meilleur ami. Tu ne parles jamais de lui.

- Si je ne parle jamais de lui, c'est qu'il y a une raison.

La dernière phrase est sortie plus violente que je ne l'aurai voulu. Personne ne sait ce qu'il s'est passé ce soir-là et personne ne le saura jamais. Je sais qu'elle ne m'en veut pas, mais je culpabilise un peu. Nous rentrons sans un mot. Je vois bien que l'ambiance est un peu tendue, alors je décide de lui tenir la main sur le chemin. Un sourire illumine son visage, elle ne m'en veut pas et moi n'ont plu d'ailleurs. Après manger, nous montons dans ma chambre, ses parents restent toujours en bas et ne se doutent de rien. La semaine dernière, à ma plus grande surprise, ils m'ont offert une télévision. Alors nous en profitons, posés dans mon lit, Kylie dans mes bras, ce qui me réjouit à chaque fois. Bien sûr parce qu'elle est avec moi, mais aussi, car depuis la fameuse nuit après le restaurant et un peu de pratique, elle arrive enfin à me faire des câlins sans se faire du mal, sans se forcer. Et je suis le plus heureux du monde d'y avoir contribué. Ce qui me vient à l'esprit, c'est qu'elle m'a avoué ce secret si lourd sur elle, et même si je n'en connais pas la cause, je pense la savoir grâce à mes recherches. Elle m'a laissé voir beaucoup de choses, mais moi, je l'ai rejeté à la seule question personnelle qu'elle m'a posé. Je caresse des cheveux pour voir si elle est réveillée et commence tout doucement.

- Un soir, nous avons fait une fête entre potes, nous un peu avons bu, beaucoup en fait. Même si je tiens l'alcool, ses ravages étaient bien présents ce soir-là.

Kylie sait de quoi je parle, elle sait que je m'ouvre à elle et que c'est compliqué pour moi. Alors elle me laisse parler et ne dit rien.

- À la fin de la soirée, on a pris la voiture. Il m'avait prévenu, il m'a dit de ne pas conduire, qu'on prendrait un taxi. Mais je ne l'ai pas écouté, je n'en faisais qu'à ma tête. Je venais d'avoir la conduite accompagnée, je voulais lui faire voir comment je conduisais bien et est arrivé ce qui devait arriver. On a eu un accident, les phares de la voiture d'en face m'ont ébloui, j'ai perdu le contrôle et on s'est écrasé sur le bitume après plusieurs tonneaux. Moi, je n'ai pas eu grand-chose à part quelques égratignures et l'arcade ouverte. Mais lui, il m'a protégé et à tout prix à ma place. C'est moi qui aurais dû mourir ce soir-là, pas lui. J'ai tué mon meilleur ami, putain.

Après mon long monologue, les larmes coulent, je ne peux plus les retenir, je les ai retenus trop longtemps et cette histoire aussi. Je sanglote sans pouvoir m'arrêter, mais ça me fait du bien, j'avais besoin d'en parler. Kylie est là, elle ne dit rien, mais ressert son étreinte sur moi. Elle sait que j'ai besoin de temps, besoin d'évacuer. Quand je commence à me calmer, elle relève la tête et me demande comment il s'appelait. Je lui réponds Enzo dans un murmure à peine audible. Elle acquiesce et commence ce que je redoutais le plus, cette fameuse phrase que tout le monde me répète sans cesse et qui pourtant est fausse. Cette phrase qui est juste un prétexte de consolation, rien de plus. Mais je ne suis pas dupe, tout est ma faute.

- Je sais que tu ne veux pas l'entendre, ou que tu n'y crois pas, mais je vais te le dire quand même. Tu as besoin de l'entendre. Ce n'est pas ta faute Kevin, tu ne pouvais pas savoir ce qui allait arriver. Alors oui tu n'aurais pas dû prendre le volant bourré. Mais ce n'est en aucun cas de ta faute. Tu arriveras à tourner la page seulement quand tu le comprendras. Enzo ne t'en veut pas, j'en suis sûre, il veille sur toi de là-haut et il voudrait que tu sois heureux, que tu avances.

Ces mots, je les ai entendus tellement de fois et ils sont toujours aussi durs à entendre, pourtant si vrai. Après tout, il n'y a que la vérité qui blesse, pas vrai ?






Derrière Les Étoiles, L'obscuritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant