Chapitre 28

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     Kylie

Aujourd'hui, c'est la remise du bac. Une semaine après sa mort. Je ne me soucie pas de l'avoir ou non, tout ce à quoi je pense maintenant est si je vais réussir à revenir au lycée et à faire comme si tout allait bien. J'ai l'habitude de porter un masque, mais celui-ci est bien trop lourd. Je passe d'un geste automatique du maquillage sur mon visage pour masquer la douleur qu'il laisse entrevoir et m'entraîne à sourire devant mon miroir. Chose qui n'arrive qu'à me faire verser une énième larme. Arrivée en bas mes parents m'attendent sans oser me regarder dans les yeux, rien que de me voir dans cet état les ferai pleurer. Ils ne veulent pas me le montrer, mais eux aussi ont perdu espoir de me voir sourire un jour. À vrai dire, tout le monde a perdu cet espoir, moi la première. Je me dirige vers la voiture en traînant les pieds. Le soleil m'éblouit, c'est vrai que je ne suis pas sortie depuis le drame. Le lycée est rempli, je cherche Jessica des yeux pour m'éviter d'être seule avec mes parents encore trop longtemps. La première chose que je vois en arrivant est la photo de Kevin afficher en grand, ornée de fleurs et de mots qui lui sont adressés. Il y a quelques jours, j'en aurais ri, les gens ne le connaissaient même pas, ils le détestaient sans chercher à le connaître. Et maintenant, ils sont tous là comme à déballer tellement de conneries et de condoléances, ça me tue, leur débilité me tue, ce qu'ils peuvent être faux-cul, j'en suis presque admirative. À peine ai-je le temps de sortir le bout de mon nez que je la voie débarquer, un sourire plaqué sur le visage. Qu'est-ce que je voudrais avoir le même. Jess salue mes parents et me sort de cet enfer n'osant même pas me faire la bise. Ce n'est pas pour faire pitié, mais depuis ce tragique accident, si on peut appeler cela comme ça. Tous les efforts que j'avais faits grâce à Kevin se sont envolés. Je suis redevenue Philophobe et haptophobe, mais version 2.0. C'est-à-dire que j'ai peur du contact physique, on ne peut plus me toucher sans que je ne fasse un bond et trembler comme un petit chien apeuré. Ou bien entendre parler d'amour, et même le voir. Ils ont bien essayé de me faire voir un psy, mais sans succès, cela me faisait encore plus penser à lui. La cérémonie se passe, lentement, mais sûrement. La foule aussi grande, est-elle me regarde à chacun de mes mouvements. C'est, soi des regards de compassion et de pitié à mon égard, soi, ils me regardent comme si j'étais une extraterrestre. Je ne sais pas ce qui est le pire. Les diplômes s'écoulent et les cris de joie augmentent. Jessica part récupérer son bout de papier et revient vers moi en sautillant, me tendant le résultat sous le nez. Elle a eu son bac avec mention bien, c'était sur elle l'a bien mérité. Vient mon tour, celui où on vous appelle devant tout le monde, que vous devez monter, avec tous les regards poser sur vous. Je monte le plus vite possible et affiche le plus beau sourire qu'il m'est possible de faire à la proviseure avant de me fondre dans la masse. J'ai eu le même résultat que Jessica, bac avec mention bien. Mes parents sautent et cris de joie en chœur, entraînant Jess avec eux. J'ai attendu ce moment toute ma vie et cela ne me procure aucune émotion, je ne ressens rien, je suis vide. La journée est enfin finie, je peux retirer mon masque. Personne n'est venu me parler, à parts quelques, toutes mes condoléances, et des regards par-ci par-là, ça a été. Le plus dur est bien entendu de faire croire à mes parents et à Jess que tout va bien pour moi. Cela me fait mal de le dire, mais finalement, en plus de ne plus y croire, je crois bien qu'ils ont laissé tomber. Je ne leur en veux pas, j'aurai sûrement fait pareil à leur place, qui veut aider une épave sérieusement ? On ne peut pas aider une personne qui ne veut pas être sauvée, mais à quoi bon vouloir être sauvée ? Qu'est-ce qui peut bien me retenir ? Sûrement pas un bel avenir. Personne ne m'attend, personne sauf lui. Il est là-haut, tout seul dans le ciel à attendre ma venue. Je veux le rejoindre, j'ai besoin de lui autant qu'il a besoin de moi. J'ai encore tant de choses à lui dire. Il nous reste encore tellement de choses à vivre ensemble. Pourquoi je n'irai pas le rejoindre ? Après tout, le choix n'est pas si dur. Rester là et être triste toute ma vie, être un boulet pour ma famille ou le rejoindre et être heureuse avec lui et libérer ma famille. Même si, mes peu de proches souffrirons, ce sera que quelque temps avant de faire leur deuil, contrairement à moi qui n'en sera jamais capable. Je me dirige vers la salle de bain, attirée comme un aimant pendant que mes parents dorment paisiblement sans se douter de rien une seule seconde. Face au miroir, je ne loupe rien de mes cernes pleins les yeux, des rides sur tout le visage, les cheveux aussi gras qu'une friteuse et le maquillage qui finalement ne cache pas grand-chose à ma détresse. Soudain, comme si la vie lisait dans mes pensées, mon regard est attiré par un objet brillant dans la poubelle. La lame de Kevin, celle que je lui avais confisquée lors de sa première tentative de suicide, suite à la mort de ses parents. Inutile de préciser que la même idée me traverse l'esprit, mais je ne peux pas faire ça, pas ici. Je ne veux pas imposer une chose telle que celle-là mes parents, cela les détruirait. Finalement, je ne pense pas que Kevin soit très content de ce que j'ai fait. S'il était là, il m'en aurait empêché, exactement comme je l'ai fait pour lui. Je prends donc mon sac, la lame et quitte ma maison. Les rues sont noires, éclairées par les phares des voitures et les quelques lampadaires de la ville. Le silence règne, tout le monde dort, un coup d'œil à ma montre me permet de constater qu'il est bientôt une heure du matin. Mes jambes m'entraînent machinalement au Vieux-Pont. Il m'en empêcherait, mais il n'est plus là pour le faire. Les larmes me montent alors que je fais un premier pas sur le muret. Je m'apprête à le rejoindre une bonne fois pour toutes, mais une main venue de nulle part m'agrippe et me tire de là. Je glisse sur le rebord tombe par terre, me cognant contre le bitume. Ma vue se trouble si bien que je ne peux qu'entendre les sirènes approcher de plus en plus. J'ai échoué ou peut-être pas.

Derrière Les Étoiles, L'obscuritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant