Durant mon jeune âge, je n'ai goûté qu'une véritable fois au coup de foudre. Son nom était Newton, nous avions huit ans. Son regard était noir, sa chevelure blonde, son cœur immense. Depuis ma scolarisation je n'avais d'yeux que pour lui, pourtant je n'étais jamais parvenu à l'approcher. Ce garçon me pétrifiait de peur tant il m'intimidait par sa douce beauté, son extraordinaire originalité et sa tendre intelligence. Malgré mon désespoir, une fois, un miracle s'était produit. Assis au rebord d'une fontaine, attendant patiemment que ma mère me récupère à la sortie de l'école, je rêvassai. Mes yeux luisaient d'envies chimériques, mon esprit voyageait, je rêvais certainement de lui. Et il était sorti de mes songes pour m'approcher. J'imaginais tant son visage que je n'avais pas constaté sa présence. Ses lèvres roses se sont étirées, ses joues se sont teintes en rouge. Ainsi, je le trouvai adorable. Sa voix enfantine m'avait salué, il s'était assis à mes côtés. Jamais je ne m'étais tenu aussi proche de lui. Submergé par une joie sans égale, j'avais niaisement souri. Mes membres s'étaient engourdis, je lui avais répondu d'un timbre chevrotant. Ses joues avaient rutilées, sa tête fuyait mon regard. Je tremblais de surprise. Jamais Newton n'avait tenté de m'adresser la parole et malgré tout, je l'apercevais rougir sous mon regard ambré. Intrigué par sa venue, je m'étais tu, je l'avais soigneusement écouté, persuadé que le moindre de ses mots contenait l'intelligence du monde.
« Je suis amoureux de toi. m'avait-il confié. »
Les jours suivants sa déclaration, nous nous sommes rencontrés chaque soirée à la fontaine. Le sourire qui s'allume, les éclats de rire et les rougeurs firent partis de notre tendre quotidien, nous n'étions que bonheur, qu'innocence, qu'amitié. Au fil des semaines, nos doigts se sont enlacés, nos yeux se sont intensément ancrés. Nos balades étaient rituelles, pleine d'amour, de mots doux, de mains entrelacées. Nos cœurs se scellèrent de cette timidité qui annonce l'adolescence. À présent, nous étions fous amoureux. Les années se sont écoulées, la fontaine, rouillée, s'est éteinte. Le lycée s'imposa, nous fûmes forcés de nous quitter. De cette façon, nos rencontres se sont peu à peu effacées. Notre fontaine devint un angélique souvenir. Son visage séraphique sans rien faire mit le feu à ma mémoire, il m'oublia dans les limbes de l'enfance.
Mais, un jour, je le vis.
À présent, nous étions des jeunes hommes. Mes yeux s'étaient écarquillés, mon cœur avait fondu d'une surprise euphorique, d'un amour qui ne s'était jamais éteint. Il traversait la rue adjacente de cette ondulation de hanches qui me fit fantasmer. Ses longues jambes et son beau visage me séduisirent, son regard noir m'envoûta comme dans le temps, je retrouvai un rêve lointain, un rêve que j'avais abandonné en pleurant. Mais voilà ses doigts fins. Ses doigts fins, enlacés. Ses doigts fins, enlacés par d'autres. Il marchait, cet homme. Cet homme à l'allure charmante, au charisme dangereux. Cet homme et son sourire comblé de joie, cet homme que la chance avait orné à ma place, qui s'était habillé pour plaire. Ses grandes dents blanches, ses mains fortes, son regard tendrement ancré dans celui de mon garçon. Tout me fit comprendre qu'ils s'aimaient. Qu'ils s'aimaient, à l'écart de notre vieille fontaine. Newton avait oublié les mots que sa voix m'avait susurrés, ses lèvres gâtaient celles d'un autre et dévoraient les promesses qu'il m'avait jadis offertes. Ainsi, Newton, grandi, m'avait effacé. Je compris aussitôt. Je compris qu'une toute nouvelle eau coulait de notre fontaine. Qu'elle remplaçait nos fabuleux moments, qu'elle témoignait les dégâts du temps qui avait fini par emporté notre amour. Mon cœur éclatait en morceaux, mes yeux miroitaient de larmes amères et de regrets aussi acides qu'un venin. Je réalisai doucement. J'aurais dû construire une maison avec une fontaine pour nous deux au moment où il m'avait dit qu'il était amoureux.
