Chapitre 40

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— Tu n'as pas encore parlé à Helena depuis que tu vis au manoir.

La brunette stoppa net sa marche lente et regarda en direction du lac, dont l'eau devait être glacée, pour tourner le dos à son amoureux. Elle devait être si froide en ce mois de décembre que quiconque se jetterait dedans finirait brûlé et sous terre. L'eau gelée, représentait-elle une prison, sans barreaux et sans issue ? Élia était-elle, elle aussi, prisonnière du liquide glacé qui enflammait ses veines ?

— Parle-moi, ma douce, la supplia Tristan, en respectant son désir de lui tourner le dos. Pourquoi la hais-tu autant ? De quoi as-tu peur ?

— J'ai peur d'être déçue à nouveau.

— Je crois que si tu ne lui parles pas, tu le regretteras. Peut-être pas demain ni dans un an, mais quand il sera trop tard. Quand tu seras vieille et fripée, qu'elle ne sera plus de ce monde, et qu'il ne te restera que tes yeux pour te lamenter.

— Il ne me reste déjà qu'eux pour pleurer.

Tristan s'approcha prudemment de sa belle, qui lui faisait encore dos, et posa ses mains sur ses épaules. Il serait toujours là pour la soutenir. Quoi qu'il se passe. Quoi qu'il advienne de leur amour, de leurs passions, de leurs passés et de leur avenir. Il serait toujours là. A la soutenir. A l'ombre des abysses ou à la lumière du soleil.

— Tu ne sais pas qui elle est. Tu ne sais pas à quel point elle m'a blessée et détruite. Pendant bien trop longtemps, j'ai été son objet. Sa chose. Je n'étais qu'une poupée de porcelaine entre ses mains de fer. Jusqu'au jour où elle m'a fait tomber et que tout mon être d'argile s'est éclaté sur le sol carrelé du manoir des Villalba. Mais bien sûr, il y avait toujours une armée de domestiques entraînés à l'excellence pour nettoyer ce qu'elle cassait, sans jamais laisser la moindre preuve. Aucune. Mais les éclats de verre se cachent parfois dans des coins insoupçonnés. Alors j'ai fui. Non pas par lâcheté. Mais pour sauver ma peau. C'était l'enfer, Tristan. Pire que cela. L'enfer grouillait tout autour de moi et dans ma tête. Parfois, je me demande comment j'ai pu me construire avec les flammes des damnés qui venaient me lécher les orteils s'ils avaient le malheur de dépasser de la couette. Ou du moule que Helena avait instauré.

Plus Élia regardait ce lac glacé, plus ses larmes coulaient. L'écrivain avait voulu les lui effacer. Mais elle l'avait repoussé. Alors, il avait compris que pour cette fois, elle devait se battre seule. Et qu'elle ne pourrait pas le faire s'il la forçait à lui faire face. Alors, il se contenta de rester dans l'ombre de son Amour, en l'écoutant pleurer, impuissant. En sentant son cœur se déchirer petit à petit, au fil des mots et des confessions qui s'échappaient des lèvres rosées de sa belle. De toute son histoire, ses espoirs, ses peines, ses pleurs et ses souffrances. De cette instabilité qui avait été bien trop longtemps sa meilleure amie. De sa rencontre avec Juline, puis Mickaël qui l'avaient soutenu et aidé. Des manigances d'Helena. Et de Saint Aubyn. Jamais Tristan ne pourrait oublier ce nom qui était gravé au fer rouge dans l'esprit de sa petite amie. Comment un homme pouvait accepter de profiter d'une jeune femme non-consentante, et sur l'avis de sa propre mère de surcroît ? L'écrivain priait silencieusement que cet individu ne croise jamais sa route. Ou il serait obligé de se débarrasser de lui.

Et lorsqu'Élia s'écroula au sol, accablée par cette torture qui avait enfin pu quitter son esprit, il l'avait rattrapée, et l'avait serrée si fort dans ses bras qu'elle s'était sentie en sécurité et que le froid de l'hiver ne l'atteignait plus. Il avait approché ses lèvres de son oreille, frottant sa joue blanche contre ses larmes salées.

— Quittons le manoir, mon amour. Juste en face ou à l'autre bout du monde si tu le désires. Qu'importe où nous irons, je ne te laisserai pas vivre sous le même toit que cette femme.

Un Océan au Fond des Yeux - Amours, Amours !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant