Chapitre 43

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En se couvrant chaudement, Élia se fit la réflexion que ce message, dont elle ne connaissait pas le numéro de l'auteur, devait être de Maximus, qui avait lu une nouvelle fois dans la pagaille de ses pensées. Comment faisait-il pour être au courant de tout ? Avait-il des yeux dans le dos ? Ou bien une armée de servantes prêtes à lui raconter les moindres recoins de poussière du manoir s'il leur lâchait son habituel regard de la mort qui tue ? La jeune femme sortit en trombe de sa chambre et se hâta au plus vite de dépasser les arbres morts, les buissons en branches, les bancs bien trop propres en cette saison... Tristan, que lui arrivait-il ?

Quand, enfin, ses yeux noisette captèrent la présence de l'écrivain, adossé négligemment contre le kiosque couvert de gouttelettes d'humidité, un frisson d'horreur secoua sa colonne vertébrale.

— Non !

Ne put-elle s'empêcher de crier en courant vers lui pour lui arracher la cigarette qui rêvait entre ses jolies lèvres. Un instant durant, les poissons au fond de ses yeux océan s'agitèrent, étonnés, puis se calmèrent et retrouvèrent leur danse monotone habituelle.

— Tu devais arrêter de fumer, Tristan ! s'écria-t-elle en jetant violemment le mégot par terre.

— La planète ne te remercie pas.

— La planète ne remercie pas non plus mon petit ami qui me fuit pour aller faire des bêtises en cachette !

Élia se baissa toutefois pour le ramasser et le disposer dans le cendrier de poche que le jeune homme lui tendait. Elle lâcha un long soupir libérateur avant de venir poser son front contre la poitrine palpitante de Tristan. Lorsqu'il se pencha pour embrasser le haut de son crâne, quelques-unes de ses mèches ébène virent chatouiller les joues de la brunette rougies par le froid. Il enroula ses bras autour de son corps, qui lui paraissait si frêle, tel un serpent qui voulait étreindre sa proie à jamais.

— Excuse-moi d'avoir crié mon amour. J'avais peur qu'il te soit arrivé quelque chose de grave. Je t'ai attendu d'interminables secondes durant lesquelles je me disais que tu t'étais peut-être enfermé dans ta chambre car tu aurais oublié tes clefs, ou bien que tu avais fait un malaise quelque part, seul, dans un coin sombre de cet immense manoir et que personne ne t'avais vu. Ou... Ou...

Élia venait de lâcher un sanglot qu'elle ne pouvait plus contenir en empoignant avec force le pull en laine de son amant. Celui-ci passait doucement sa main entre ses cheveux brun pour la calmer, se maudissant qu'avoir été, une fois encore, un bien bel idiot.

— Je t'en prie... souffla-t-elle, des larmes au fond de la voix. Fume autant que tu veux, mais ne meurs jamais.

Tristan inspira l'odeur de rose qui émanait du capillaire de sa compagne en se blottissant encore davantage contre elle.

— Que faisais-tu avec mon père ?

— ... Arrête d'être jaloux, Tristan. Tu vois bien où cela nous mène.

Élia inspira elle aussi l'odeur de Tristan, qui apaisait son cœur malmené comme le bruit de l'eau qui ruisselle doucement au beau milieu d'une forêt verdoyante, marquant ainsi une pause dans son récit avant de reprendre.

— Il m'a proposé son aide pour parler à Helena.

— Et tu as préféré accepter sa main à lui, plutôt que la mienne.

— J'ai dit qu'il me l'avait proposé. Pas que j'avais accepté. Je continue de croire que c'est une affaire que je dois régler seule. Lorsque j'en aurais la force.

La jeune femme se recula des bras de son petit ami en fronçant les sourcils.

— Tu n'es pas du tout habillé pour la saison. Où est ton manteau ? Tes mains sont glacées, tu vas tomber malade. Rentrons.

— D'accord, mais avant cela, tu me dois un baiser.

Son souffle chaud près du visage de la jeune femme avait une couleur blanche, qui semblait les plonger dans un univers où ils ne seraient rien que tous les deux, avec pour seul objectif de vie de faire voyager leurs lèvres dans un monde sensuel.

— N'oublie pas, mon amour. Une cigarette vaut au moins... murmura-t-il.

Une délicate caresse habituelle vint alors titiller les lèvres rosées d'Élia, qui répondit avec douceur à cette invitation charnelle.

— ... un milliard de baisers avec toi.

— Tu as augmenté le prix.

— Quoi de plus naturel alors que je possède le monopole du marché de ta bouche contre la mienne.

***

Élia entendit l'eau couler dans la pièce adjacente, dans laquelle Tristan prenait une douche dans le but de réchauffer ses membres endoloris par le froid. Quelle idée lumineuse que de sortir début décembre, avec pour seule couche de vêtement, un bien maigre pull en laine et un pantalon à pinces pas très épais ! Décidément, son petit ami était un génie ! Mieux que cela, le Créateur lui-même ! La brunette soupira face à l'idiotie certaine de l'écrivain en fouillant dans les tiroirs de son écritoire : les quelques pages qu'il avait griffonnées de sa jolie plume la veille ne devaient pas être bien loin. Ses yeux noisette se posèrent alors sur une feuille pliée en quatre, dans un coin sombre du meuble. La jeune femme venait de dégoter l'objet de ses convoitises. Elle était fortement désolée envers son amour de l'acte qu'elle allait commettre, et s'en sentait atrocement coupable, mais elle n'avait pas le choix.

"Soudain, la pendule sonna trois heures. Elle n'était toujours pas là. Devais-je l'attendre ? L'oublier ? M'éprendre ? M'oublier..."

Le bruit de l'eau que l'on coupe stoppa net Élia dans son acte criminel. Elle fut obligée de ranger précipitamment le morceau de trésor dans sa poche. La jeune femme eut tout juste le temps de se jeter sur les draps encore défaits de leurs folies passées, que la porte de la salle de bain s'ouvrit, offrant à ses jolis yeux un spectacle d'une incroyable beauté. Tristan n'était vêtu que d'une simple serviette nouée distraitement autour de sa taille étroite, bien trop courte pour que la raison s'en mêle, laissant à sa partenaire d'amour tout le loisir d'imaginer les joyaux qu'elle cachait. Son torse délicat était encore couvert de gouttes d'eau ruisselantes, et ses cheveux trempés, qui inondaient le sol, lui donnaient un air de mâle alpha raffiné et élégant.

— Que faisais-tu ? lui demanda-t-il en la rejoignant sur le lit.

— Je t'imaginais.

— Tu m'imaginais ?

— J'imaginais tes mains répandre de l'eau bouillante et le savon sur ton corps. Tes bras. Ton torse. Tes...

La jeune femme lâcha un regard suggestif à son amant avant de reprendre son petit jeu sur un ton rauque et chuchoté.

— ... Jambes.

— La vision t'a plu ? souffla-t-il en rapprochant ses lèvres des siennes.

Pour le narguer, la brunette le repoussa au dernier moment et s'écria soudainement en se levant :

— Madame Louisa nous a fait réchauffer le repas, j'ai faim, mangeons !

Un Océan au Fond des Yeux - Amours, Amours !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant