Invocatrice de l'Ombre T.3

XIV - L'étincelle de deux corps

Ce soir, je me réveille d'une sieste le coeur lourd. Cela fait déjà trois jours que j'ai recouvré la mémoire. Trois jours que je me sens tiraillée entre deux sentiments : l'amour fraternel et l'amour d'une âme.

J'ai le souvenir que j'aimais Tristan, comme un premier amour, il laisse une empreinte indélébile en moi. Cependant, je me rends compte que je ne peux rien faire pour contrer cela. Je le repousse mais je me brise le coeur chaque seconde que je passe en sa présence.

Je ne peux pas abandonner Lucius, je crois en la rédemption. Tristan n'était pas un saint et pourtant, j'ai su le sauver. Je sais que je parviendrai à sauver Lucius, je dois y croire. Il souffre terriblement et ne sait faire autre chose que crier sa colère au monde entier. Il ne veut plus vivre dans un monde de mensonges, il ne veut plus de traîtrise, il ne souhaite que démontrer à tous, qu'il convient de vivre sans masque, sans supercherie. Lucius déteste la supercherie, il déteste les mensonges, il déteste l'espèce humaine...

Je m'avance vers le miroir de ma chambre d'un pas traînant, je saisie ma brosse à cheveux et je commence à démêler mes cheveux. Lorsque je relève les yeux, je crois apercevoir mon frère derrière moi. Je pousse un cri étouffé et me retourne brusquement. Derrière moi, il n'y a rien. Je pose ma main sur ma poitrine un instant et me positionne à nouveau face au miroir, là où mon frère se tient toujours derrière moi. J'aperçois sa main se poser sur mon épaule lentement, je suis tétanisée, ne comprenant pas ce qu'il m'arrive.

— Nous resterons liés, petite sœur.

Il me fixe à travers le miroir et sa main se resserre sur mon épaule.

— Si je sombre, tu sombres avec moi.

Sa voix semble désincarnée et il se met à sourire lentement. Plus son sourire s'élargit, plus sa peau craquelle, se fend, se fissure et son regard devient noir, le néant, le vide total...

Quand on frappe à la porte, je sursaute, je me retourne brusquement, la brosse toujours à la main. Tristan entre dans la pièce et fronce les sourcils en me voyant.

— Tout va bien ?

Je passe mes cheveux derrière mes oreilles.

— Oui... tu avais besoin de quelque chose ?

— Simplement savoir si tu allais bien ? Retrouver la mémoire aussi rapidement... ce doit être un choc et je...

— Je vais bien, Tristan, je te remercie...

Je pose ma brosse et tire sur les manches longues de ma chemise de nuit.

— Je ne te crois pas.

— Et toi alors ? Pourquoi tu es là ? Il est tard.

— Je ne parviens pas à fermer l'œil.

— Pourquoi...

Je ne le regarde pas, je me trouve dos à lui, le bout des doigts sur la commode.

— Je n'en sais rien.

— Je suis désolée d'être dure avec toi... tu as risqué ta vie pour venir me chercher...

— J'étais prêt à ne pas venir.

Je me tourne vers lui et m'appuie contre la commode. Il me jette un regard coupable et relève le menton, visiblement pour ne perdre aucune dignité.

— Je ne peux pas mentir, je ne dors pas parce que je ne bois pas. En presque deux ans, je n'ai su que me noyer dans l'alcool et l'oubli, parce que... je revoyais cette scène encore et encore et ma haine grandissait. Je t'ai demandé de suivre Lucius, parce que je croyais que cela fonctionnerait. Tu m'as écouté, comme tu l'as souvent fait et comme à chaque fois... nous perdons.