« L'amour et l'amitié sont des tentatives pour élargir le cercle, et retrouver l'unité perdue. » Sagesse amérindienne
Jayden
Le soleil se levait à peine sur Seeley Lake. Je me préparais et bus un café à la hâte, je détestais être en retard, encore plus pour mon premier jour avec mon père. Pour cela, je devais absolument oublier la soirée d'hier, pour quelques heures en tout cas. Oublier ses yeux posaient sur mes lèvres, oublier son corps si proche du mien, oublier ses aveux, oublier la torture de lui dire non. Je finis ma dernière gorgée cul sec, concentration, rigueur, la journée n'allait pas être de tout repos.
J'avais la chance de vivre avec un brillant neurologue, mon père avait cette capacité à créer des relations de confiance, mêmes les plus anciens Amérindiens lui demeuraient fidèles. Il s'occupait de leur chef depuis des années, celui-ci souffrait d'hypertension et d'un cholestérol élevé, il avait déjà été victime de deux accidents ischémiques transitoires soignés par le meilleur. Lorsque les autochtones décidèrent de fermer leur terre, il accepta immédiatement de venir comme médecin parmi eux, principalement le dimanche.
Heureusement, la communauté internationale des autochtones restait des plus soudée et des ONG participaient grandement aux aides apportées à la réserve. Quant à moi, malheureusement, je n'avais jamais pu l'accompagner avant, il souhaitait que je reste auprès de ma mère et mon frère en son absence. Les nombreuses interventions qu'il a dû faire avec l'appui de quelques docteurs sur place étaient aussi fascinantes que terrifiantes. J'allais pouvoir enfin y assister et me rendre utile.
Depuis la crise sanitaire de 2019, nous devions faire face à une pénurie de personnel soignant, médecins, infirmiers, aide-soignants. Ces métiers pleins d'espoir et de vocations avaient laissé place à la désolation, l'épuisement, l'effondrement de notre système de santé. Aucune remise en question de notre gouvernement. Joe Biden n'ayant réussi qu'à limiter les dégâts pendant cinq ans. Le retour de Trump sonnait le glas de fin. Game over. Quelques réformes de l'enseignement universitaire avaient été réalisées afin que nous puissions demeurer sur le terrain plus tôt. Favorisant la pratique supervisée plutôt que les cours. Enfin, quand cela était possible, nous accomplissions principalement une médecine de guerre, tout en étant notre propre ennemi.
Mon père m'attendait devant la réserve. Aujourd'hui, je resterais avec le meilleur superviseur qui soit. Même si depuis mon arrivée le docteur Park me proposait quand même des débriefings journaliers au centre médical. Après sa tournée au ranch vendredi, Mme Bradley ne tarissait pas d'éloges à mon égard. Sincèrement, j'avais beaucoup de chance, aucun événement particulier ne s'était produit, les résidents se portaient à merveille. Les familles redécouvraient leur proche en dehors des murs de leur maison de retraite. Les troubles avaient été réduits, voire pour certains envolés, l'espace de quelques jours. Même les aides-soignantes présentes n'en revenaient pas.
Les retrouvailles avec mon père ressemblaient à une scène de film, à force de voir et passer des moments difficiles, il se refusait à repousser à demain ce qu'il pouvait vivre aujourd'hui. Pour lui, il fallait montrer à ces proches qu'on les aime, maintenant.
— Je suis parti depuis quelques semaines seulement, plaisantai-je, lorsque notre embrassade se termina en câlin sans fin.
— Je rattrape toutes les fois où tu ne voulais plus que je t'embrasse en public. Puis...
— Je sais, ne jamais reporter à demain.
Et cela valait pour le boulot aussi, pas de procrastination avec lui.
Après avoir passé un barrage digne de Guantanamo, nous arrivâmes à la clinique de la réserve. Bien que rudimentaire, elle avait la chance d'exister. Depuis la crise du Covid, des hôpitaux avaient été construits à la hâte dans chaque terre sacrée, préférant que les Amérindiens n'encombrent pas les lieux de soins des Américains. Nous fûmes reçus avec beaucoup de sympathie pour quelques rares personnes, de la méfiance pour les autres. L'ensemble du personnel étant né ici, beaucoup avaient déserté les villes pour revenir sur leur terre d'origine. Je restais surpris de rencontrer si tôt, des groupes de jeunes entrain de boire aux abords de la clinique. La différence entre savoir et voir été immense. J'avais beau savoir combien la vie restait précaire pour eux, je n'aurais pu imaginer à quel point. Je croisais dans le petit service d'urgence des femmes battues, des adolescents souffrant de maladies chroniques, de diabète, d'asthme, d'insuffisance cardiaque, mais aussi des cas de tuberculoses, d'alcoolisme et de toxicomanie. Nous pensions les connaitre, mais finalement bien avant qu'ils ne s'isolent eux-mêmes, ils l'étaient déjà... Nous ne savions que des stéréotypes et des clichés sur cette communauté.
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Cette vie et celle d'après... Tome 2 (Premier Jet)
RomanceCette histoire est le tome 2 de « cette nuit et celle d'après », il est conseillé de lire le tome 1, mais pas nécessaire ;) ! Je m'appelle Lila Bradley, je sais qui je suis, mais je ne sais pas d'où je viens. Ma particularité, j'ai eu dix-huit ans...