Chapitre 1

984 40 4
                                    



18 Mai

Maeva

Je regarde l'horloge au mur et il est déjà presque 15h. Il y a eu beaucoup de clients à la pharmacie aujourd'hui et je n'ai pas eu beaucoup de temps pour souffler. N'empêche, je suis contente d'avoir choisi de travailler ici pour l'été. C'est la pharmacie où j'ai travaillé comme assistante-technique durant toutes mes études et, lorsque M. Valiquette, le propriétaire, m'a proposé de le remplacer comme pharmacienne de la mi-mai à la fin août, entre la fin de mon Pharm D et le début de ma maîtrise en pharmacothérapie avancée, j'ai accepté sans hésitation. Ça me fait toujours plaisir de passer l'été dans la ville où j'ai grandi, ça me permet de passer du temps avec ma famille, d'échapper à l'étouffante chaleur montréalaise et, je ne peux pas nier que l'apport substantiel d'argent ne fera pas un bien immense à mon compte de banque, et me permettra de passer un hiver convenable. J'aurai un salaire lors des 16 mois que durera ma maîtrise mais celui-ci sera bien moindre que celui que j'aurais pu gagner dès cette année si j'avais décidé d'arrêter mes études et de demeurer pharmacienne en communauté. Mais, bien que j'aime le travail avec le public et travailler dans cette pharmacie en particulier, mes stages de la dernière année m'ont fait comprendre que je préfère la pharmacie d'hôpital avec ses cas complexes, ses défis pour traiter des maladies rares, ses médicaments de recherche, ses soins critiques et ses opportunités de travail en équipe interdisciplinaire ; c'est pourquoi j'ai décidé de prolonger mes études quelque peu.

- Maeva.... regarde, murmure Céline, l'assistante-technique qui travaille avec moi cet après-midi, me sortant de mes réflexions et me pointant une prescription qui vient d'arriver sur le comptoir.

Je lis la prescription et je vois le nom du patient : Jérémie Simard.

- C'est celui à lequel je pense ?

Pour toute réponse, Céline me pointe la salle d'attente des yeux.

Jérémie Simard, c'est l'une des fiertés de ma ville, d'où il est originaire. Joueur par excellence des championnats du monde de hockey junior il y a 7 ans, il a été repêché par les Kings de Los Angeles au 2e rang au total la même année. Dès l'année suivante, il faisait le saut dans la LNH avec les Kings où il a connu une bonne saison recrue, étant même en nomination pour le trophée Calder. L'année suivante, toutefois, ses performances n'ont pas été à la hauteur des attentes et lorsque le temps fut venu de négocier un nouveau contrat, il n'a pas réussi à s'entendre avec son équipe, ce qui a éventuellement mené à sa venue à Montréal. À Montréal, il a connu une excellente première saison ce qui a fait de lui l'un des joueurs les plus populaires, d'autant plus qu'il est l'un des rares francophones de l'équipe. Il était dans toutes les publicités de l'équipe et représentait l'équipe dans tous les évènements. Cette année-là, il est devenu le joueur préféré de plusieurs jeunes, dont ma petite sœur Léa. Encore maintenant, à 14 ans, Léa voue un amour inconditionnel à Jérémie Simard. Elle a son chandail, me montre tous les articles qui le concernent, et c'est même sa photo qui sert de fond d'écran sur son iPhone. En fait, ses photos, puisqu'elle a une application qui met une nouvelle photo de Jérémie à chaque jour : Jérémie qui célèbre un but en uniforme, Jérémie qui reçoit un trophée en jeans et en chemise, Jérémie en complet-cravate qui assiste à un évènement de charité, Jérémie qui joue au golf en shorts et en polo, Jérémie qui arrive au Centre Bell avec une tuque sur la tête et un manteau long, Jérémie qui s'entraîne en t-shirt, Jérémie avec les cheveux longs, Jérémie avec les cheveux courts, Jérémie avec une grosse barbe de séries, Jérémie rasé de près, Jérémie avec une barbe de 2 jours, toujours Jérémie, toujours avec le même sourire. Je ne l'ai jamais complètement avoué à Léa mais je ne peux pas dire que je partage son admiration inconditionnelle pour Jérémie. À sa 2e saison à Montréal, malgré le fait qu'on lui a décerné le titre d'assistant-capitaine, il a connu une saison plus en dents de scie, avec environ 2/3 des points de la saison précédente. Ses malheurs se sont poursuivis au cours des 2 saisons suivantes, alors qu'à chaque fois qu'il semblait être sur une lancée, il se faisait arrêter par quelque chose, une blessure, la blessure d'un de ses compagnons de trio ou sa propre incapacité à jouer à la hauteur de son talent ce qui m'a fait penser qu'il n'arrivera jamais à combler les attentes que les gens ont pour lui. Et moi, un gars qui ne fait pas ce qu'on attend de lui avec un contrat de 6,5 millions par année pour pousser une rondelle au fond du filet, je trouve ça un peu injuste, surtout depuis que je travaille dans le milieu de la santé où les gens se fendent le derrière pour aider les autres tout en gagnant une infime fraction de son salaire. Malheureusement pour lui, les gens sont sévères à Montréal, spécialement envers les Québécois, on le critique donc beaucoup, en passant même par le premier ministre de la province qui tweete parfois à son sujet... Cette année, c'est encore pire que les autres. Alors que Jérémie avait connu un bon début de saison, il a complètement arrêté de produire depuis février, obligeant même son entraîneur à le laisser dans les gradins pour quelques matches. Et maintenant, depuis 3 semaines, il est mystérieusement disparu de la carte... Alors que les Canadiens prenaient part à leur dernier voyage de la saison et se préparaient à participer aux séries éliminatoires, il a été annoncé un matin que Jérémie ne participerait pas au match du soir contre les Canucks et qu'il avait dû quitter l'entourage de l'équipe pour des raisons personnelles. Et depuis, personne ne semble l'avoir vu. On ne parle encore que de ça dans les journaux, même si les Canadiens viennent d'éliminer les Bruins en 7 matchs lors de la première ronde. Cet après-midi, pourtant, Jérémie Simard vient de réapparaître...dans ma pharmacie...

Patins et pilulesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant