𝘀𝗺𝗼𝗸𝗲𝘀 || 𝗷𝗶𝗸𝗼𝗼𝗸

19

- Je t'en supplie, ouvre les yeux...

La voix de Jimin tremblait. Sa tête était posée contre son torse, il sentait son cœur se fendre à chaque seconde, à chacun de ses sanglots. Quel sensation bizarre, d'habitude, il sentait le torse de Jungkook se soulever et s'abaisser lorsqu'il était contre lui, mais là, son diaphragme bougeait à peine. Il respirait, mais tout sauf paisiblement.

Il suffoquait.

- Qu'est-ce que vous attendez pour appeler les secours ?! Merde...merde merde ! Ouvre tes yeux !

.

À chaque seconde, il reprenait son souffle. Reprenait une bouffée de la fumée mentholée de sa cigarette, se jetant sur son lit, revoyant sa vie pendue au plafond.

Plus rien ne lui donnait envie de lâcher ses paquets, même s'il devait s'endetter. De toute façon, fumer tue, vivre aussi, donc tant qu'à faire, autant se ruiner.

Loin de lui l'idée du suicide, mais proche de lui l'idée de se familiariser avec la mort peu à peu.

Jungkook se repassait ces mauvais souvenirs en tête à chaque fois qu'il écrasait sa cigarette dans le cendrier déjà rempli de cendres. Les sirènes de police, les cris de sa mère et les insultes de son père, il lui arrivait de ressentir une once de remords parfois, en se disant que s'il n'avait plus de parents il ne pouvait s'en prendre qu'à lui seul, après tout, c'est lui qui avait choisi de balancer son père qui cachait des substances illicites dans son tiroir.

Lui qui s'était plaint des violences récurrentes de sa mère qui le battait sous prétexte qu'elle voulait se suicider, s'il avait fermé sa gueule, peut être aurait-il encore deux parents abusifs qui ne l'aimaient que lorsque le silence résonnait.

Mais soudain venait-il à chasser cette idée de son esprit. Il avait enchaîné les thérapies et tous lui disaient la même chose:

"Seul toi possède la clef pour avancer".

Mais Jungkook n'avançait plus depuis plusieurs temps. Il s'était réfugié dans les fumées de la cigarette qui lui brûlaient les yeux et qui lui déchiraient les poumons, dans cette bulle fermée du monde, il n'avait d'yeux que pour ses cigarettes.

Il avait creusé un trou et y avait jeté la clé de son avenir et s'était jeté lui-même, refermant le trou. Le sommeil ne le gagnait plus, il souffrait silencieusement à travers cigarettes après cigarettes, allongé sur son lit, fixant le plafond, pendant des nuits et des jours.

Alors, pourquoi devrait-il ouvrir les yeux ? Pourquoi devrait-il faire demi-tour ? C'était comme s'il se tenait près d'une fenêtre, dos à l'extérieur. Il songeait à se retourner régulièrement, à observer les nuages gris, les arbres se secouer, le vent souffler doucement. A l'horizon, ce ciel bleu, cette odeur de pluie s'intensifiant encore et encore, cette fenêtre était ouverte. Il s'appuyait sur le rebord. Quelques gouttes de pluie commencèrent à se laisser voir, puis ce fut des feuilles, qui entrèrent petit à petit. Délicates, jolies, fragiles.

Il pouvait presque les toucher. La beauté de l'extérieur, comme s'il devait se remettre en question.

If I knew it all then, would I do it again, would I do it again ?

Son cœur était le second bruit qu'il arrivait à entendre. Après la pluie, les feuilles qui se frottaient les unes sur les autres, il pouvait rejoindre cette beauté, ou rester assis, à regarder les nuages prendre possession d'absolument tout, jusqu'à se noircir, encore, et encore, et à enfin tout avaler.

Alors, c'était ça sa vision de la mort ? Ça y est, il pleuvait, vraiment fort. Pourtant il ne sentait rien, même en passant sa main par la fenêtre. Il ne sentait pas la pluie, il n'entendait plus son cœur, il n'entendait que la pluie. Un rire parvint à son esprit. Puis un sourire, une discussion par ici, des mots par là. Une bouteille de javel vidée au sol, et enfin, il s'était vu lui. Jungkook s'était vu, une rose fanée, écrasée par un mégot. Il s'éloigna de la fenêtre, sans cesser de la regarder. Il s'asseya sur une chaise, et essuya ses propres larmes et son propre nez.

Jungkook eut le réflexe de fourrer sa main dans sa poche, mais aucune cigarette. Ses poches étaient vides.

- L'opération doit être faite maintenant, son poumon est totalement infecté.

- Je suis totalement prêt.

- On va avoir besoin de la signature d'un tuteur, vous n'êtes pas majeur.

- Merde, merde... j'emmerde ma vie. Je dois d'abord appeler quelqu'un s'il vous plaît.

- Bien sûr.

Jimin courut vers Taehyung et le prit par la main. Ils s'isolèrent, au fond d'un couloir là où personne ne semblait passer.

- Tae, elle est où sa veste ?? T'as son téléphone ? Il a son téléphone ?

- Qui ?

- Jungkook, imbécile, c'est la merde, j'ai pas de tuteur pour signer cette merde.

- Fais chier...je pense, si je demande à l'accueil en disant que c'est ma veste et que je lui avais prêté, il me croiront ?

- Essaie, ils savent d'avance que j'ai pas deux vestes. Reviens vite s'il te plait...

Jimin poussa un peu Taehyung qui se mit à courir jusqu'à l'accueil. Une fois seul, les jambes de Jimin le lachèrent, et il s'effondra au sol. Si Jungkook ne survivait pas, si Gul-mi ne pouvait pas se déplacer pour signer l'autorisation, Jimin savait qu'il serait capable de se tuer, là, tout de suite.

.

Jungkook ne pouvait pas fumer, et ça le contrariait. Il n'était donc pas au paradis. Non, il ne l'était pas. Son seul paradis, c'était l'étreinte de Jimin. La pluie s'était estompée, mais le ciel restait couvert et gris. La brise était fraîche, mais il se sentait terriblement seul. Pourquoi n'y avait-il personne ? Il commença à percuter.

Jungkook se précipita vers une source d'eau proche, un robinet, une bouteille, sa théorie se confirmant donc. Il ne pouvait rien ingérer.

Comment allait-il vivre ici ?

- Sortez-moi d'ici...je veux sortir !

- Son cœur ralentit !

L'intérieur de la pièce s'assombrit, et Jungkook paniqua. Il grimpa, ses grosses bottes frappant le rebord de la fenêtre, et contempla avec hésitation l'extérieur. Les ténèbres s'approchaient de plus en plus de lui.

- Je ne veux pas mourir...

"Arrête d'y penser... je suis là, d'accord ? Je suis là... maintenant tais-toi... je suis là... je suis là."

"Pourquoi toi... pourquoi toi, ma seule raison... pourquoi toi..."

"Je t'aime, imbécile aux cheveux multicolores."

"J'arrêterais de me cacher, et toi, tu arrêteras de te tuer."

"Sinon je ne me sens pas vivant, puisque personne ne m'entend."

"Alors laisse moi t'écouter..."

- Je ne veux pas mourir !!

Son corps bascula de la fenêtre, il ne sentait plus rien, ne voyait plus rien, plus rien, rien de plus que le néant, le vide, total et absolu.

La pluie s'intensifia, et la fenêtre se referma.