copine • plk

5.

« J'aimerais faire une surprise à Mathieu, m'informa mon père

Est-ce que j'avais vraiment besoin de vous apprendre que j'étais de mauvaise humeur ? Dès que mon père parlait de ce mec j'avais les yeux qui me sortaient par les trous. Putain, il était fan de lui ou quoi ? Mathieu par ci, Mathieu par-là... même quand il était absent, il était partout. Mon père ne jurait que par lui ! Il n'avait qu'à l'adopter s'il le préférait.

Au début je pensais que ma jalousie n'était pas vraiment justifiée mais maintenant, ça devenait maladif. J'avais envie d'étriper le faux blond pour qu'il lâche la grappe de mon père mais même dans sa tombe il trouverait un moyen de nous hanter. J'étais donc coincée à regarder mon père apprécier ce mec comme si c'était son fils.

— C'est quoi ce regard ? Mon père me fixait

Je pinçai mes lèvres entre elles, tentée de l'ignorer.

— Non, sérieusement, dis-moi ce qui se passe ? J'ai vu la tête que t'as fait.
— Est-ce que t'aurais préféré que je sois un garçon ? Murmurai-je en détournant les yeux

Le silence me heurta. Il s'attendait sûrement pas à une telle question, même moi je ne l'avais pas vu venir. C'était mon cœur qui avait parlé. Et c'était relativement justifié comme question !

— C'est insensé comme question Esme ! Enfin, pourquoi tu me demandes ça ? C'est parce que j'apprécie Mathieu ?
— Oui ça et aussi le fait que tous les souvenirs que j'ai de toi c'est dans le garage à bricoler des voitures et notamment celle que je conduis aujourd'hui. Et puis t'es partie et c'est peut-être parce qu'à 8 ans je commençais à vraiment m'affirmer en tant que fille, je sais pas ! Je sais pas pourquoi t'es parti mais je me dis que c'est pour ça et puis t'as trouvé Mathieu ici et ça m'a l'air de bien te plaire alors je me dis que...

Je fondis en larmes au moment où il me pris dans ses bras. J'étais ridicule. J'avais l'impression de ne pas être trop à côté de la plaque avec mes arguments mais en même temps j'avais l'impression de pleurer avant d'avoir mal parce que c'était peut-être que de la connerie. J'étais mitigée. Et mon père semblait prendre son temps pour réagir.

— Je suis désolé que t'aies pu penser ça, il s'éloigna pour me regarder dans les yeux, et je m'excuse de t'avoir fait de la peine. Je suis ravi d'avoir eu une fille, je suis ravi que TU sois ma fille.

J'hochai la tête en reniflant. Ces mots m'allaient droit au cœur.

—J'avais vu tellement de trucs sur la relation père/fille tu sais on dit souvent que la fille est amoureuse de son papa, j'avais trop hâte de vivre ça avec toi ! Et quand t'es née, ce fut le plus beau jour de ma vie, c'est moi qui étais amoureux de ma fille, pouffa-t-il nerveusement
— Alors pourquoi t'es parti ?

Il secoua la tête de gauche à droite.

— C'est compliqué...  C'est trop tôt pour parler de ça mais crois-moi quand je te dis que je n'ai jamais voulu te laisser. »

J'expirai fortement, me rendant compte que j'avais retenu mon souffle en attendant sa réponse. J'étais frustrée de devoir me contenter de cette réponse mais je finis par hocher la tête. Ça devait être compliqué pour lui aussi.

•••

Je passais le reste de la journée à monter des colis dans le grenier du garage grâce à une échelle en bois grandiloquente qu'on dépliait du plafond.

La surprise pour Mathieu consistait à lui créer une pièce dans le grenier du garage de mon père afin qu'il puisse s'y reposer ou même y passer la nuit.

En bref, mon père était sur le point d'héberger Mathieu. Encore heureux qu'il ne lui offrait pas une chambre dans notre maison.

J'avais du mal à comprendre tout cet engouement. J'avais bien compris que Mathieu vivait quelques galères et que ça ne semblait pas être tout rose vu la manière dont il s'était tendu quand mon père lui avait demandé comment ça allait chez lui. Mais sérieux, de là à lui aménager une pièce avec des meubles tout droit sortis de chez IKEA ? Je trouvais ça exagéré.

Mais allez savoir pourquoi, je m'étais engagée à monter tous les meubles seule pendant que mon père travaillait juste en dessous. De toute façon, je m'étais rendu compte que je ne faisais pas vraiment une super bonne mécano, c'était sûrement pour ça que papa m'avait proposé de devenir décoratrice d'intérieur avant le retour de Mathieu.

« Peut-être que ton père a projeté ses envies paternelles sur lui, suggéra Suzy
— Mmmh, répondis-je la bouche pleine avant d'avaler mes frites, c'est ce que je me dis. Mais moi je pensais qu'il m'avait abandonné avec maman parce que c'était un père bidon, finalement je me rends compte qu'il gère grave et qu'il a beaucoup d'amour à donner... donc vraiment je comprends rien.
— Il finira par t'expliquer pourquoi, je trouve que déjà ça se passe bien là.

J'hochais la tête, les yeux dans le vide. Suzy était concentré à poser du vernis sur ses ongles de pieds tandis que je faisais enfin une pause dans la préparation de cette chambre/salle de repos pour Mathieu. Il était 21h et j'étais seule au garage, j'avais dit à mon père que je voulais absolument finir de monter tous les meubles ce soir.

— Et il est où le Mathieu déjà ?
— J'sais pas, je n'ai pas eu le temps de lui demander. Il avait besoin de prendre quelques jours.
— Tu l'as cherché sur les réseaux ? T'as son numéro ?

Je secouai la tête de gauche à droite.

— Tu connais son nom de famille ?

Au ton de sa voix, je savais que Suzy commençait à s'agacer. Parce que, pour elle qui s'auto-qualifiait détective professionnelle à ses heures perdues, ce n'était pas normal que je ne sache pas répondre à ces questions.

— Mais alors qu'est que t'attends pour aller dans le bureau de ton père et trouver le contrat de ce mec ?
— Suzy, la réprimandai-je, ça ne se fait pas !
— Allez s'il te plaît Esme, je m'ennuie, couina-t-elle en faisant mine de pleurer, donne-moi une occupation ! »

Bien sûr que j'avais cédé au ton implorant de ma meilleure amie et je n'avais mis que quelques minutes à trouver les coordonnées de Mathieu Pruski. Son adresse. Son numéro de téléphone. Sa date de naissance. Le prénom et le nom de sa grand-mère qui était son responsable légal actuel ainsi que son numéro à appeler en cas d'urgence. Suzy avait presque aussitôt raccroché après avoir entendu ces informations, elle avait hâte de faire ses recherches. Moi je me sentais mal d'avoir fouiné à ce point.

Et pourtant. De manière complètement paradoxale, j'avais noté son numéro et je lui avais envoyé un message.