Chapitre 25

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Le docteur Schkell nous ouvrit la porte de son cabinet et ma mère me poussa à l'intérieur d'une pression de la main dans mon dos. Le battant se referma derrière elle comme celui d'une prison. L'homme avait un visage serein. Concentré, il semblait analyser mes moindres mouvements lorsque, d'un hochement de tête, il m'invita à prendre place sur un fauteuil - rouge, il me semble.

Contrairement à mes attentes, ma mère ne m'avait pas traînée dans un cabinet psychiatrique. De ce que j'avais réussi à lire sur l'enseigne, - mes progrès étaient si lents - il s'agissait d'un centre d'ophtalmologie avancée.

Nous n'avions même pas attendu en salle d'attente, qui était pourtant pleine à craquer. À peine assises, on nous avait appelées :

- Miru Thymse.

Il faut dire qu'une aveugle de naissance qui retrouvait la vue ne devait pas être la plus anodine des patientes. Le docteur Schkell n'était pas mon médecin habituel, car celle qui m'avait accompagnée durant tout mon enfance, Mme Fesher, était partie à la retraite un an plus tôt.

Mr Schkell se présenta donc, puis nous passâmes à la partie la moins engageante de la conversation ; j'allais devoir répondre à des questions ennuyeuses et déprimantes sur mes globe oculaires.

- Pathologie ? s'enquit-il d'une voix neutre.

Ces mots-là, je les connaissais par cœur. A chaque examen médical, ma mère débitait le nom de ma maladie d'une traite, comme un pansement qu'on enlève d'un coup pour que ça fasse moins mal. Plus grande, c'est à moi que les médecins demandaient, et je récitai ça comme un mantra, en m'enterrant chaque jour dans la certitude que ma-vie-est-nulle-et-j'ai-pas-d'amis-etc. En soupirant, je répétai ces mots cent fois répétés, comme si je me limitai à ça, une maladie.

- Malformation prénatale du système optique.

- Bien, marmonna-t-il en fronçant les sourcils. Quelle zone ?

- La cornée.

- Vraiment.., maugréa-t-il encore.

Comment ça, vraiment ? Il m'énervait, ce crétin, à me sortir des moitiés de phrases pour se donner l'air mystérieux !

- Et depuis quand avez-vous retrouvé la vue ?

- Six mois, soupirai-je.

- Est-ce constant ?

- Non, certains jours je vois, d'autres non.

- La fréquence entre chaque vision est-elle régulière ?

- Pas vraiment.

On parlait encore de mes flashes, là ? Parce que cet interrogatoire me rappelait les discussions avec ma gynécologue.

- Si ça ne vous dérange pas, enchaîna le docteur, nous allons passez à l'examen.

Je m'allongeai sur la table recouverte de papier, en pensant très fort à lui assener que si, ça me dérangeait. Mais je me tus.

Il fit passer des appareils - plus ou moins apparentés à des instruments de torture - devant mes yeux en fronçant un peu plus les sourcils à chaque passage.

- C'est bon pour moi, vous pouvez vous relever, assura-t-il en rangeant ses machines.

- Alors, docteur ? interrogea ma mère.

Je ne décelai pas quelle émotion faisait vibrer sa voix. Trouble, inquiétude, appréhension ?

- Je ne comprends pas, avança le Dr. Schkell. Il n'y a aucun signe de malformation. Regardez vous-même les radios. Ici on a un cas de malformation prénatale, et ici le vôtre, mademoiselle Thymse. Il n'y a pas la moindre similitude.

Ahurie, je regardai ma mère, en quête d'explications. Elle se mordait la lèvre, pâle comme un linge. Aucune surprise ne transparaissai dans ses traits.

Malformation prénatale du système optique.

Ces mots-là, je les connaissais par cœur. C'était ce à quoi je m'identifiais. Et soudainement, du jour au lendemain, on me les enlevait. Soudainement, je ne sus plus qui j'étais.

- Miru, prononça ma mère d'une voix blanche, peux-tu sortir une minute ?

Vexée d'être traitée comme une enfant, je quittai la pièce en claquant la porte. Après une trentaine de secondes, je collai mon oreille à la porte afin de saisir des bribes de la conversation. À ma grande déception, le battant était épais et s'il laissait passer des éclats de voix, les mots et leur sens ne parvinrent pas jusqu'à moi.

Au bout de 5 minutes environ, Mr Schkell rouvrit la porte et m'invita à revenir. Après une grande inspiration, je me décidai à m'asseoir et à écouter. Ces informations, quelles qu'elles soient, changeraient ma vie à jamais.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant