Chapitre 38

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Le ronflement du moteur me berçait tandis que nous nous enfoncions de plus en plus dans la campagne. J'essayais vainement de garder les yeux ouverts, installée à l'arrière d'un taxi, la tête sur l'épaule d'Alex. Nous dirigions vers un coin paumé à minuit passé, pour une bonne raison cependant. En tout cas selon Alex.

Je voyais, et il avait donc absolument tenu à me montrer quelque-chose. Les date surprises allaient devenir sa spécialité, s'il continuait comme ça. Pas que cela me déplaise, au contraire. Mais j'aurais bien aimé savoir ce qu'il tramait. Ou, à défaut, dormir.

- On est presque arrivés, me souffla-t-il à l'oreille.

Cela me donna l'énergie nécessaire pour enfin soulever les paupières et jeter un oeil à la fenêtre. Or on ne voyait rien. C'était le noir complet, dehors.

- Tu te fous de moi ? grommelai-je. Il n'y a rien, ici. Pas une once de civilisation. SI tu es un tueur en série, dis-le moi maintenant, qu'on en finisse !

En réponse, il se contenta d'éclater de rire.

- Toujours à voir le verre à moitié vide, toi, se moqua-t-il.

De plus en plus mal léchée, je répliquai :

- Oui bah là y a pas de verres, pas de lumières, pas âme qui vive. Pas que j'aie peur du noir mais j'en ai un peu mar...

- On est arrivés, m'interrompit le chauffeur sans aucune compassion. Je reste garé ici une heure, pas une minute de plus, c'est compris, les jeunes ? Si vous ne revenez pas à ce moment-là, vous rentrez à pied.

Je lançai aussitôt un regard assassin à Alex. Message subliminal : Sionrentreàpiedtuesmortdoncbougetoilecul.

La télépathie semblait fonctionner puisqu'il esquissa un sourire contrit avant de sortir de la voiture en vitesse, ajoutant tout de même un "Merci monsieur" - il fallait bien qu'au moins l'un d'entre nous soit poli. Je m'extirpai à mon tour du taxi et mes yeux s'habituèrent peu à peu à l'obscurité. Il n'y avait aucun lampadaire, la seule source de lumière se trouvait être les phares du taxi et de rares autres voiture stationnées sur le parking.

Un grand sourire conspirateur sur le visage, Alex me tendit une lampe frontale. Sexy. Avec ça, n'importe qui avait l'air débile. Mais trop fatiguée pour protester, je l'enfilai tandis qu'il faisait de même. Puis il me prit par la main et me traina à travers des champs qu'on n'avait probablement pas le droit de traverser. Heureusement, il finit par ralentir l'allure.

- Ferme les yeux, m'intima-t-il, tout content.

- Ca ne sert à rien, il fait noir, soupirai-je.

Mais je souris et fermai les yeux. Sans pouvoir retenir un bâillement. 

- Tu devrais te dépêcher si tu ne veux pas que je m'endormes, le prévins-je.

J'entendis un froissement de tissu, une couverture qu'on étendait au sol, peut-être ? Il s'assit dessus, puis je le rejoignis. Nous nous allongeâmes et je réprimai un autre bâillement, lorsqu'il m'autorisa enfin, après avoir éteint les lampes , à ouvrir les yeux.

Et comme par magie, mon envie de dormir s'évapora. Que pouvait-on qualifier d'autre la beauté du ciel étendu au-dessus de nous ? Ce ne pouvait être que de la magie. Tellement d'étoiles nous surplombaient, plus brillantes les unes que les autres. Je n'avais jamais vu une chose pareille.

- Comment se fait-il qu'elles soient plus belles ici? soufflai-je, comme si j'avais peur de les faire fuir. 

- La lumière de la ville les cache, d'habitude, murmura Alex. Tu ne savais pas ça ? rigola-t-il.

- Je... non, je...

- Les coins paumés ont du bon, parfois, Miru. C'est dans le silence qu'on entend le mieux, et dans le noir que brillent les plus belles étoiles.

Je me serrai contre lui, émue, sans quitter la Voie Lactée du regard. On se sentait si petit, tout à coup, face à tellement d'étoiles...

- Tu peux me montrer la Grande Ourse ? demandai-je.

- Alors là... Hum. Honnêtement, je n'ai pas la moindre idée d'où elle est, rit-il.

- Révise mieux, la prochaine fois, rigolai-je à mon tour en lui flanquant un coup de coude.

Mais même sans connaitre le nom des constellations, même au milieu de nulle-part, paumés dans un champ, c'était l'un des plus beaux moments de ma vie.

- Merci de m'avoir emmenée là, lui chuchotai-je avant de l'embrasser.

Il sourit contre mes lèvres, puis me serra dans ses bras. De toutes ses forces. Ce moment, on le savait, c'était peut-être la dernière fois que je verrais. Mon opération avait lieu dans deux jours.

Deux jours à l'issu desquels m'attendaient peut-être le bonheur, et peut-être pas. Deux jours pour imaginer tous les scénarios possibles de catastrophes. Aussi je préférais considérer cette soirée comme la dernière. Pour minimiser le désespoir qui allait forcément me détruire si je me réveillais aveugle.

Un mouvement dans le ciel attira soudain mon attention. Une trainée blanche, plus lumineuse que les autres. Je me redressai, émerveillée, et remarquai le grand sourire sur le visage d'Alex.

- Toi aussi tu l'as vue ? le pressai-je.

- Oui, Miru, moi aussi, s'esclaffa-t-il. Ta première étoile filante. Fais un voeu.

Depuis toujours, je savais quel voeu faire. Mais je l'avais relayé aux tréfonds de ma mémoire, sachant pertinemment qu'il était impossible à réaliser. Alors, en soufflant mes bougies, ou sur un pissenlit, je me contentais de souhaiter une babiole, un bijou. Ca faisait trop mal d'espérer sans autre véritable espoir que la magie, en laquelle, jusqu'à récemment, je n'avais jamais cru.

Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je fis le voeu qui me trottait dans le coeur depuis 13 ans. Aujourd'hui, je demandai à voir, en espérant de tout mon être que les étoiles m'entendent. Pour la première fois de ma vie, l'inatteignable semblait à portée de main. Tout ça grâce à Dreamer.

Un immense cheval qui, en m'invitant sur son dos, m'avait rapprochée du ciel.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant