Chapitre 24

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Plusieurs mois passèrent, durant lesquels je me rapprochai beaucoup d'Alex. J'avais pris la résolution d'aller courir tous les matins pour améliorer mon endurance - je détestais souffler comme un bœuf à chaque séance de saut - et habitant près de chez moi, il s'était proposé pour m'accompagner.

De ce fait, il m'avait plusieurs fois évité de trébucher sur le trottoir. Il m'apprenait aussi un peu à lire - avant les cours d'équitation puisque je ne pouvais plus travailler Dreamer - même si ce n'était pas encore très fluide.

Car oui, je revis plusieurs fois également. Mes "flashes", comme j'aimais à les appeler, survenaient souvent le matin au réveil et restaient la journée, et il était de plus en plus dur de ne pas me laisser surprendre par ma mère. Mon père, quant à lui, n'avait jamais été très perspicace et partait de toute façon trop tôt dans la journée pour poser un quelconque problème.

Dreamer commençait à être remonté, mais je n'étais pas autorisée à le prendre pour l'instant. Ma monitrice m'avait précisé qu'après autant de semaines d'inactivité, son propriétaire - donc Gabriel, youpi - allait doucement le remettre en route avant qu'il puisse de nouveau faire des cours. Sa jambe ne lui permettait pas encore de reprendre le rythme du centre équestre. Elle restait fragile et il lui fallait un travail adapté pour la renforcer sans prendre le risque de faire une rechute.

Ce mercredi-là, j'avais un flash - cool - mais Alex était parti en voyage et Amy avait attrapé un virus - pas cool. Je me retrouvai donc seule. Un peu perdue d'abord, je m'étais ensuite décidée à me faire d'autres amis. Je commencerais probablement par ceux de mon cours.

Je commençai évidemment par aller faire une caresse à Dreamer. Gabriel était en train de le panser. Je fermai rapidement mes yeux puis timidement, je m'approchai et tentai un "salut".

- Salut, me répondit-il d'une voix neutre.

- Je peux t'aider ? hasardai-je en tendant ma main vers les brosses - je demandai cela comme une faveur, sachant très bien qu'il savait brosser son cheval.

Je marchais vraiment sur des œufs avec lui, j'avais peur qu'il explose à tout moment. Mais il me répondit presque gentiment, d'une voix toujours impassible :

- Pas de problème.

Nous restâmes un long moment comme cela, chacun à sa tâche, le silence uniquement dérangé par le frottements des brosses et quelques bruits lointains. Soudain, il prit la parole :

- Miru ?

- Oui ?

- Je suis désolé pour avoir été infect avec toi ces derniers mois.

De surprise, j'en laissai tomber ma brosse. Gabriel eut un petit rire nerveux.

- En fait, reprit-il, c'est pas contre toi, t'as rien fait de mal et... bah t'es sympa en vrai mais... Ces derniers, j'ai eu l'impression que tu m'avais... remplacé.

Soudain, je compris. J'ouvris mes yeux de stupéfaction.

- Tu étais juste... jaloux ?

- Oui, c'est ça, marmonna-t-il en baissant la tête.

Sa gêne était visible et je m'en voulus d'avoir présenté les choses comme ça. Je tentai maladroitement de me rattraper :

- Non mais c'est pas grave hein, enfin je veux dire, ça m'a paru bizarre et c'était pas très agréable de se faire détester sans raison apparente... Mais je pense que je réagirais pareil à ta place... C'est ton cheval après tout.

- Quoi ? s'écria-t-il. Mais de quoi tu parles ?!

- T'étais pas jaloux parce que j'accaparais Dreamer ?

- Mais... pas du tout ! Qu'est-ce qui te fait croire ça, enfin ?!

- Bah pourquoi tu le serais sinon ?

- J'aime Alex, p*tain ! rétorqua-t-il en rougissant. T'as vraiment aucune perspicacité, c'est dingue... Je pensais pas avoir à l'avouer à une rivale avant l'intéréssé.

Une... rivale ? Je me rendis compte qu'en effet, j'éprouvais sans doute plus que de l'amitié pour Alex. Il était ironique que ce soit à Gaby que je doive cette prise de conscience.

Je restai muette comme une idiote, incapable de dire quoi que ce soit. En même temps, qu'aurais-je bien pu lui dire ? "Merde, désolée pour toi mon gars, tu es amoureux de ton meilleur ami pour lequel j'ai probablement des sentiments aussi ! Bon, c'est aussi moi qui l'ai éloigné de toi, mais sans rancune hein ?"

Il se passa une main sur le visage. J'eus l'impression que c'était plus pour se cacher qu'à cause de son exaspération. Je vis scintiller un éclat sur sa joue. Sans réfléchir, je mis ma main sur son épaule pour le réconforter. Il se dégagea aussitôt.

- Je suis désolée..., murmurai-je. Je manque clairement de tact avec les gens, j'ai jamais eu beaucoup de contacts humains dans ma vie, sans même parler d'amis... Ne pleure pas...

Gabriel fronça aussitôt les sourcils et releva la tête pour me fixer d'un air soupçonneux.

- Je le savais ! Tu peux voir !

Devant mes yeux abasourdis, il s'éloigna à grands pas et bientôt disparut de mon champs de vision. Ne sachant trop que faire, je m'assis sur la barre d'attache et carressai Dreamer en attendant mon "jugement". Gaby était très certainement allé me dénoncer, pour je ne sais quelle raison d'ailleurs...

Si je redoutais la réaction de mes parents, c'était notamment à cause de leur côté cartésien. Mes flashes semblaient contrer toute logique, et ils n'étaient pas du genre à croire à la magie. Ils m'emmèneraient sans doute chez un psychologue, voire un psychiatre, croyant que j'ai des hallucinations à cause de mon émotivité.

J'entendis le crissement de pneus sur les graviers et poussait un gros soupir. Ma mère arrivait.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant