Epilogue

17 2 3
                                    

J'avais toujours aimé l'odeur des fleurs sauvages. Elle était apaisante, variée, on ne savait jamais vraiment d'où elle venait. Ou plutôt si.

Elle était partout. Il suffisait de mettre un pied dans un champ pour en être entourée. Bulldozer les aimait, ces fleurs, lui aussi.

On était le 12 juin, et j'étais revenue dans ce champ près de chez mes parents.

Pour faire la paix.

Cinq ans, cinq ans qu'il était parti et que j'avais pensé ne plus jamais pouvoir respirer profondément. Et pourtant, une larme à l'œil, j'emplis mes poumons de cette belle fragrance familière. Les tiges des hautes herbes me chatouillèrent lorsque je me redressai.

Je m'autorisai finalement à ouvrir les yeux.

*Quatre ans plus tôt*

Je me réveillai avec l'impression qu'une enclume me pesait sur le crâne et l'incapacité d'ouvrir les yeux. Le sommeil semblait se raccrocher à moi, alors que la seule chose que je souhaitais était d'ouvrir les yeux. Un peu énervant.

Puis une voix perça le silence (et mes oreilles) en s'écriant :

- Ma chérie ! Tu es réveillée !

Ma mère, bien sûr. Mon père devait être aussi, un peu en retrait. Une main frôla doucement la mienne, familière.

- Ça a marché, Miru, me souffla Alex. C'est bon. Tu as réussi.

*

Quatre ans que je pouvais voir, enfin, et je n'en avais pas perdu une seconde. Je me levais aussi tôt que mon corps me le permettait pour ne pas rater la lumière du jour. Mais aujourd'hui était l'exception.

Aujourd'hui, pour la première fois, j'étais venue comme au bon vieux temps. Les yeux fermés, pour me rappeler, en bien, de cette journée d'il y a 5 ans.

Ç'avait été dur, de se replonger dedans, non seulement car j'avais perdu mes repères mais aussi dur mentalement.
Et je l'avais fait. J'en étais fière. Mais maintenant il était temps d'ouvrir les yeux.

Un sourire irrésistible me monta aux lèvres en voyant l'étendue de fleurs devant moi. C'était magnifique. Tellement de couleurs, de vert... Le champ n'avait pas encore été asséché par l'été. Et c'était beau. Beau de couleurs et de simplicité.

Une larme coula. De joie, cette fois. Car j'étais sûre que Bulldozer avait aimé cet endroit autant que moi. Au moins, il était parti avec cette image en tête. Il n'y aurait pas pu en avoir de plus belle.

Une grosse tête vint se nicher dans mon cou. Comme d'habitude. Je n'étais en effet pas venue seule, et Dreamer avait été encore une fois de très bonne compagnie. Alex, avec qui je vivais maintenant, nous avait accompagnés, bien sûr, mais il était resté un peu à l'écart pour que j'aie un moment seule avec moi-même (et Dreamer).

Ce dernier ne voyait presque plus, mais gambadait encore comme un poulain lorsqu'on lui en donnait l'occasion. Il avait 21 ans, maintenant. Comme moi. Et si je n'étais qu'à l'aube de ma vie, je savais que, même s'il lui restait encore de belles années, il n'était plus tout jeune. Après un problème de dos l'an passé, il n'était désormais pas sage de continuer à le monter.

Mais ce qui nous liait n'avait jamais été mis en péril par l'absence d'une selle entre nous. Ça me semblait ridicule. Aussi j'avais proposé à Gabriel de l'acheter, sans trop y croire, mais en espérant de tout mon coeur.

Et il avait accepté. J'avais signé les papiers le premier avril. Le lendemain, j'avais eu peur que tout cela n'ait été qu'une vaste blague, d'ailleurs. Mais non. Dreamer était mon cheval.

Il vivait depuis la vie que l'on voudrait pour chaque équidé, dans un pré de quelques hectares à cinq minutes de chez nous, entouré de quelques copains.  Je venais le voir tous les jours.

Sans exception.

Comment aurais-je pu faire autrement ? Je savais que je passerais ma vie entière à essayer de me racheter auprès de lui, pour le cadeau immense qu'il m'avait fait.

- Merci, murmurai-je dans sa crinière.

Ce mot, je l'avais répété mille fois en espérant qu'il le comprenne. Et je le répèterais mille fois encore s'il le fallait. Je le lui dirais tous les jours.

Car il ne serait jamais assez récompensé pour m'avoir donné envie de vivre.

- Merci, criai-je silencieusement au soleil aussi.

Grâce aux bougies trouvées sur le chemin, j'étais enfin arrivée. Je le voyais, le bout de ce tunnel. Enfin. Grâce aux cadeaux inestimables qu'on m'avait fait, alors que je n'avais rien fait pour les mériter. Grâce aux yeux que Dreamer m'avait donné, je pouvais enfin avancer.

D'un claquement de langue, j'appelais Dreamer. Et nous nous mîmes en marche.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant