Chapitre 27

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Pourquoi la lumière des hôpitaux était elle si crue, si éblouissante ? A croire qu'ils avaient décidé d'en finir dès le réveil des patients. Chaque fois que j'ouvrais les paupières, ma migraine se relançait. Une infirmière venait d'entrer afin de poser un plateau sur ma table de nuit. Je la remerciai et elle me sourit avant de quitter à nouveau la chambre. En soupirant, je m'emparai de mon "délicieux" dîner et avalai ma soupe sans engagement.

J'avais atterri dans cette institution grâce à mon fameux flashback. Globalement, selon les médecins, le récit de ma mère avait fait remonter à la surface les souvenirs traumatiques et mon organisme, pour s'en protéger, était tombé dans les pommes. On m'avait alors transportée aux urgences, car des "séquelles psychologiques" étaient à craindre.

Heureusement, rien de nouveau sous le soleil, exceptée cette fichue migraine qui ne daignait pas se déloger de mon crâne. J'étais là depuis deux jours et, pour l'instant, rien de notable n'était arrivé. On me portait un repas immonde trois fois par jour, je regardais la télé, je refusais de parler à ma mère, je dormais et je m'entraînais à lire - au moins tout ce temps n'aurait pas été perdu. J'avais aussi appelé Amy, qui se remettait donc en même temps que moi et ne pouvait pas venir me voir du fait de son virus. Je ne lui avais toujours pas parlé de mes flashes, aussi je lui dis simplement que j'étais à l'hôpital pour un contrôle.

Par contre, je n'avais pas pu joindre Alex, puisqu'il était toujours à l'étranger, et n'avait pas un forfait qui lui permettait d'appeler de là-bas. Il était censé rentrer le lendemain. J'avais hâte de le voir, et c'était d'ailleurs ma seule motivation pour éviter d'envoyer bouler tous ceux qui se présentaient à moi. Plus j'aurais l'air saine d'esprit, plus je pourrais sortir vite.

Un énième toubib, enfin, une "personne du corps médical", passa ma porte. Sans frapper, bien sûr. Il me disait quelque-chose, mais j'avais vu trop de gens en deux jours pour me souvenir de toutes les têtes.

- Bonsoir Miru, me salua-t-il. Je voudrais juste discuter de quelque-chose avec toi et tes parents avant de te laisser dormir. Ce ne sera pas long.

- Ok, soupirai-je, allez-y, qu'on en finisse.

La porte s'ouvrit une deuxième fois, sur mes parents donc. Je leur adressai un sourire crispé.

- Nous avons bien étudié ton cas, mademoiselle. Ton recouvrement semble sur la bonne voie, il me semble que tu vois depuis trois jours d'affilée, ce qui est inédit dans ton cas. Cependant, tout n'est pas encore gagné.

- Comment ça ? l'interrogea mon père, me coupant l'herbe sous le pied.

- Eh bien en vue de ses migraines et des analyses faites, nous craignons une rechute. Et il se pourrait bien que dans ce cas, ce soit irréversible.

Je me sentis paniquer. J'avais pourtant été confrontée à cette possibilité plus d'une fois, et j'aurais dû m'y attendre. Mais à chaque fois que j'envisageais la possibilité de ne plus jamais voir le ciel, je me sentais prisonnière. Cela me terrorisait. Je me mordis la lèvre pour ne pas pleurer.

- Il doit bien y avoir une solution, murmura ma mère en me couvant d'un regard inquiet.

- En effet, il y en a une.

A ces mots, l'espoir imprégna chacunes de mes cellules. Je relevai la tête, les yeux brillants. Cependant le docteur eut tôt fait de me faire déchanter.

- Une opération. Du cerveau. Mais ce n'est pas dépourvu de risques, et on n'est pas sûr que ça marchera, avança-t-il en tournant son visage vers moi. Il faut bien te rendre compte que si 80% des opérations de ce genre ont été concluantes, et c'est déjà beaucoup, les 20% restants ont perdu la vue à jamais. C'est à toi de décider si tu veux ou non prendre le risque. Il s'agit de ta vie. Tu ne dois rien à personne, si ce n'est à toi-même. Alors réfléchis bien et tiens moi au courant quand tu seras prête. Je vous souhaite à tous une bonne soirée.

Il quitta la chambre dans un silence pesant, suivi de près par ma mère. Bouleversée, je mis du temps à me rendre compte que mon père était toujours dans la pièce. Au bout d'une trentaine de secondes, il murmura :

- Pardon.

- Pour quoi ?

- Pour tout, répondit-t-il avec un sourire triste. Surtout pour n'avoir pas été là. Jamais. Pour... Je ne sais même pas qui tu es. Ça fait douze ans que je ne te connais plus, et c'est ma faute. Parce que j'ai été lâche, j'ai laissé ma vie de côté pendant tout ce temps. Je vous ai laissées de côté, toi et ta mère, alors que mon rôle était de vous accompagner. C'était vous deux, ma vie. Je le savais il y a douze ans.

Il esquissa un geste pour me prendre dans ses bras, puis se ravisa et sortit. Aussitôt après, j'éclatai en de longs et bruyants sanglots. Au bord de la crise de nerfs, je m'emparai de mon oreiller et le serrai de toutes mes forces. C'était trop. Tout était trop. Je ne parvenais plus à formuler la moindre pensée cohérente.

Au bout d'un moment, épuisée, je finis par m'endormir. Mes lèvres, qui étais désormais gercées et lasses, incapables de façonner autre chose que des cris, avaient le goût des larmes.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant