Chapitre 33

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Je sortis de la voiture et inspirai l'odeur désormais familière des chevaux. Je souris. J'étais enfin de retour au centre équestre, après plus d'un mois de convalescence. Et j'allais enfin pouvoir retrouver, et remonter Dreamer, qui lui aussi avait guéri de ses blessures. 

 Après avoir salué Mme Arned et ma monitrice, je me pressai vers le paddock du Shire, impatiente et stressée à la fois. Une fois à la barrière, je sifflai doucement pour l'appeler. Un doux ronflement me répondit, puis j'entendis ses gros sabots faire leur chemin  jusqu'à moi. Son souffle caressa mes cheveux, et je tendis la main à l'aveuglette pour la poser sur son chanfrein. Je me décidai à entrer dans son paddock, un licol à la main et lui enfilai délicatement. 

Pourtant, je ne pus me résoudre à descendre à la barre d'attache tout de suite. Aussi je m'approchai et serrai sa grande encolure entre mes bras. Ma respiration se calma. C'était la première fois que je le voyais depuis l'hôpital, depuis que mon monde s'était écroulé.

- Je sais, mon grand, lui murmurai-je comme s'il pouvait me comprendre. Maintenant, je sais.

Je voulais qu'il sache que je le pardonnais, que je ne le tenais pas pour responsable, qu'il ne me faisait pas peur. A défaut de comprendre mes mots, il descellerait peut-être ce que je ressentais à travers cette étreinte, et l'unique larme qui coula sur ma joue pour se perdre dans sa robe. 

Nous finîmes par descendre et je le sellai, retrouvant avec joie les gestes qui étaient devenus des habitudes. Lorsque je me mis enfin en selle, malgré une légère appréhension, ce fut comme si j'étais de retour chez moi. Là où je devais être. Mon sourire s'agrandit, et je lui demandai de marcher, sereine.

Après cette séance presque tout droit sortie d'un rêve, nous partîmes faire une petite balade avec le reste du cours. Étonnamment, je n'avais pas peur. C'était le même endroit, le même cheval, des circonstances similaires et pourtant je n'avais pas peur. J'étais heureuse, soulagée de me rendre compte que malgré ce que ma mère m'avait avoué un mois plus tôt, ma confiance en Dreamer était intacte.

Celle-ci était également renforcée par la présence d'Alex à mes côtés. Il était venu me voir monter pour ma reprise, et se tint près de mon cheval durant toute la balade. Mon bonheur était complet. Je pris une grande inspiration, et emplis mes poumons de l'odeur des pins qui nous surplombaient. Ils dégageaient un fumet de résine, de vent et de liberté ; en outre, ils me rappelaient notre sortie le jour de mon anniversaire.

 - Tu ne peux pas savoir à quel point ça m'avait manqué, glissai-je à Alex pendant que nous nous enfoncions dans la forêt. 

- Bien sûr que si, Miru, je sais, se moqua-t-il gentiment. Moi aussi, les chevaux me manquent dès que je m'éloigne. Ce sport, c'est une drogue. Quand on commence, on n'arrête jamais. Regarde toi, ça faisait douze ans que tu avais arrêté, et tu replonges dedans à la première occasion. Toxico, va.

Je souris, contente qu'il parle de mon accident sans être gêné ou en faire un sujet tabou. L'écouter en parler comme d'une anecdote m'aidait à passer à autre chose, et à rejeter les appréhensions qui pouvaient ressurgir à chaque instant.

- Merci d'être là, lui dis-je simplement, avant de me baisser pour tendre ma main.

Alex la prit et l'embrassa (ce qui me valut probablement de tourner rouge tomate), puis murmura :

- De rien.

Lui comme moi savions que je ne disais pas ça seulement pour aujourd'hui, mais pour toutes ces fois où il avait été là alors que je ne savais même pas que j'en avais besoin. Mais lui le savait.

Une fois de retour, une voix familière nous salua : Gabriel. Je sentis aussitôt Alex se tendre près de moi. Je décidai de m'éloigner et d'aller m'occuper de Dreamer ; quels que soient les arguments qu'il pourrait avancer, je n'avais pas envie d'entendre ça.

*

- Miru ! s'écria soudain une voix familière derrière moi.

J'eus à peine le temps de me retourner qu'Amy se jetait dans mes bras. Je l'enlaçai avec force. C'était la première fois qu'on se revoyait depuis mon hospitalisation, et je réalisais seulement maintenant à quel point elle m'avait manquée. Nous nous étions parlées par message, bien sûr, mais il n'y avait rien de tel que de voir les gens en vrai. Enfin, voir, façon de parler. Cela me fit penser que je ne lui avais toujours pas parlé de mes flashes. Aussi, voulant éviter qu'elle l'apprenne d'une autre bouche que la mienne - les bruits couraient vite dans les centres équestres - je lui annonçai sans préambule :

- Je peux voir.

- Pardon ?! paniqua tout de suite Amy.

- Enfin pas là tout de suite, continuai-je maladroitement, mais...

Me rendant compte que j'étais tout sauf claire, je me stoppai :

-  Bon, viens t'asseoir avec moi, je vais te raconter, soupirai-je, un petit sourire aux lèvres.

Même si la situation n'avait rien de drôle, son choc était tellement évident, même sans la regarder, que je ne pouvais pas retenir entièrement mon hilarité. Nous nous posâmes donc contre une botte de foin et je me mis à raconter. J'avais l'impression de faire mon autobiographie et je me sentais un peu ridicule, mais Amy m'écouta, sans m'interrompre. A la fin du récit, nous tombâmes à nouveau dans les bras l'une de l'autre.

- Merci de me l'avoir dit, murmura-t-elle, la voix un peu enrouée.

- C'est normal. Ca ne va plus être un secret longtemps de toute façon, répliquai-je amèrement.

- Je te jure que si je recroise Gabriel aujourd'hui, je ne réponds plus de...(elle s'interrompit soudain, avant de reprendre d'un voix plus hésitante :)  Euh, salut Alex !

Il dut la saluer d'un signe, car il resta silencieux. Sentant que l'ambiance avait changé, Amy m'embrassa sur la joue puis se leva en me lançant :

- A la semaine prochaine !

Je souris, mais ramenai vite mon attention sur Alex, étonnamment calme. Il s'assit à côté de moi et je m'enquis :

- Tout va bien ?

Il se racla la gorge.

- Oui, on s'est juste engueulés avec Gaby. Tu ne devineras jamais pourquoi il t'a dénoncée, cet abruti...

- Oh je peux essayer, soupirai-je. Ce ne serait pas par jalousie, à tout hasard ? Entre autre, bien sûr.

Pris de court, il s'écarta de moi.

- Attends, tu étais au courant qu'il...

- Qu'il t'aime ? Oui. Et avant que tu t'énerves pour ne pas t'avoir mis dans la confidence, tu sais aussi bien que moi que ce n'était pas à moi de te le dire.

- Tu as raison. Mais le fait qu'il me l'ait avoué pendant notre dispute, c'est... Je sais pas, ça me fais culpabiliser de lui faire la gueule. Sauf que ce par quoi il t'a fait passé, c'est vraiment dégueulasse, et...

- Tu ne dois pas te sentir obligé d'être fâché contre lui pour moi, tu sais, l'interrompis-je.

- Ce n'est pas le cas.

Un silence confortable s'installa, et il me prit la main, dessinant des cercles avec son pouce sur le dos de celle-ci. Je sentais son regard doux posé sur moi. Il lâcha finalement :

- Je ne sais pas si je lui pardonnerai un jour.

Je serrai sa main plus fort.

- Ca n'a pas eu que des inconvénients, avançai-je doucement. Sans lui, je ne saurais toujours pas. La vérité fait mal, mais elle vaut toujours mieux que des mensonges.


Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant