Chapitre 34

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La semaine suivante, nous prévîmes une séance de travail à pied avec Amy, pour reprendre les bonnes habitudes. Nous allâmes chacune chercher nos chevaux de notre côté. Lorsque Dreamer me vit arriver, il émit un léger hennissement, et je souris. De plus, je voyais ce jour là. La journée ne pouvait que bien se dérouler.

Je sortis le Shire de son pré et l'emmenai avec allégresse vers la barre d'attache, avant de l'admirer sous tous les angles. Qu'il était beau, ce cheval. D'accord, j'avais un avis subjectif, mais pour un cheval de 17 ans, il était en pleine forme. Sa robe brillait au soleil, et il était tout en muscles. A part sa blessure quelques mois plus tôt, sa santé était au beau fixe.

Amy et Aka, sa ponette, nous rejoignirent, et on se dirigea vers la carrière. Nous avions prévu de revoir les bases, aussi je commençai par faire marcher Dreamer en main, puis le fis reculer, s'arrêter, déplacer les épaules et les hanches... Des gestes tous simples, qui pourtant soulignaient notre complicité et notre évolution tous les deux. Et le fait de les lui avoir appris moi-même m'emplissait de fierté.

Je le fis ensuite passer au trot, mais il trébucha et repassa au pas. Il se passa la même chose lorsque je voulus le faire passer sur une barre au sol, et quand nous passâmes sur un tas de sable un peu plus haut que les autres. Inquiète, j'interpellai Amy :

- Dreamer n'arrête pas de trébucher, c'est normal ?

Elle s'approcha de nous, le visage serein, haussant les épaules.

- Je pense que ce n'est rien, marmonna-t-elle en palpant les jambes du cheval. Les membres ne sont pas gonflés, il n'a rien, me dit-elle en se redressant. Il doit être un peu moins attentif que d'habitude, c'est tout.

 - Je sais pas, tu ne crois pas que ça peut être des séquelles dues à sa blessure ? 

Amy me pressa doucement l'épaule, et sourit.

- Non, normalement tout va bien de ce côté là. Tu t'inquiètes trop, ma bichette.

Mais voyant mon regard implorant, elle leva les yeux au ciel :

- Raaaah, c'est bon, t'as gagné, rigola-t-elle. J'enverrai un message à Gabriel, OK ? Et je préviendrai Mme Arned. C'est à eux de décider s'ils veulent appeler le véto ou non. Sur ce point, je ne peux rien faire de plus.

- Merci, soupirai-je, soulagée.

Amy avait peut-être raison, j'étais probablement parano. Mais mon mauvais pressentiment ne me quittait pas. Après réflexion, il avait même effectivement été un peu moins volontaire que d'habitude sur les exercices que je lui proposais. Presque hésitant, comme par peur de se faire mal.

Je soupirais, frustrée. S'il s'était reblessé, c'était vraiment bien notre veine ! La journée ne pouvait finalement pas bien se dérouler sans qu'il se passe un truc de travers. Génial. Moi qui pour une fois m'étais levée du bon pied...

Après la séance, nous allâmes doucher les chevaux, et Amy m'arrosa avec le tuyau d'eau en riant. Cela tourna à  la bataille, de plus à mon avantage puisque contrairement à elle, je pouvais me cacher derrière Dreamer. Rien que de l'imaginer se recroqueviller derrière sa ponette shetland, mon rire redoubla. Cette fille était tellement porteuse de bonne humeur, elle aussi ; dans les moment où je me sentais le plus mal, je pouvais toujours compter sur elle. Comme avec Alex. Ils étaient deux énormes rayons de soleil dans mon quotidien. J'en étais d'ailleurs presque à me demander comment ils faisaient pour me supporter, moi, l'aigrie de service. Enfin, je n'allais pas me plaindre.

*

Quelques jours plus tard, Alex vint chez moi. Bien qu'encore un peu inquiète pour Dreamer, j'étais très heureuse qu'il soit là. Nous finîmes par regarder un film (car oui, je voyais encore ce jour-là), en l'occurrence "Spirit, L'étalon du Cimarron". Il trouvait qu'il s'agissait d'un "classique", que j'avais "raté mon enfance" et accessoirement, que la série "Spirit" publiée par la suite à la télévision était "une honte, un sacrilège, etc.". En riant, j'acceptai de le regarder.

Et effectivement, je devais l'avouer, ce dessin animé était un chef-d'oeuvre. Nous suivions la vie d'un étalon sauvage, qui se faisait capturé et exploité par les hommes, sans pour autant jamais perdre espoir de retrouver sa liberté. Les dessins étaient magnifiques (bien que n'étant pas une experte en la matière) ainsi que la musique (là, pour le coup, je m'y connaissais). Bien sûr, en tant que grande sensible, je pleurai dans les bras d'Alex lorsque Spirit retrouva Rivière, et durant les adieux avec Petit Nuage. Je me promis de le revoir. Puis, puisqu'il était presque 16 heures, je proposai à Alex un petit goûter, qu'il accepta en souriant.

Dans la cuisine, en préparant mon plateau, je ne pus m'empêcher de sourire. Un an plutôt, j'avais une vie sociale inexistante, et aujourd'hui, mon... copain ? - on n'avait pas encore eu la conversation du genre "on est quoi, toi et moi ?" mais je m'en passais bien - était assis sur mon canapé. Si on m'avait dit ça il y a un an, je ne l'aurais pas cru.

En parlant du loup, alors que j'installais des gâteaux sur une assiette, Alex me cria :

- Miru ! Quelqu'un t'appelle !

- C'est qui ?

- Je sais pas, un numéro inconnu...

- Décroche s'il-te-plait, j'arrive tout de suite, lui intimai-je.

J'amenai la nourriture sur la table, mais me rembrunis vite en voyant la tête d'Alex. Tendu, il me donna le téléphone et marmonna entre ses dents :

- C'est Gabriel.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant