Chapitre 20

98 15 19
                                    

- Miru, tu... tu peux voir ?

Paniquée, je voulus m'expliquer, mais les mots étaient coincés dans ma gorge. Finalement, je parvins à refermer les yeux et je murmurai :

- Je... je crois...

- Comment ça, tu crois ? Tu...?

Je l'interrompis en l'attirant derrière une botte de paille.

- J'ai entendu quelqu'un, m'expliquai-je en chuchotant.

- Mais je croyais que tu voulais rentrer chez toi, contra-t-il sur le même ton.

- ... Plus maintenant. Après. D'abord, il faut que tu m'aide.

Lorsque les pas se furent éloignés, je le pris par le bras et l'entraînai vers l'écurie, jusque dans le box de Dreamer. Sans savoir pourquoi, je m'y sentais protégée.

Une fois que j'eus refermé la porte, j'ouvris les yeux et constatai avec soulagement que je pouvais toujours voir. Sous le regard interrogateur d'Alex, je repris notre conversation là où elle s'était arrêtée :

- Bon, à priori, je peux voir, oui. Mais je ne sais pas si ça va rester longtemps. J'avais déjà vu une fois, mais c'était il y a longtemps.

- C'est... bizarre, hasarda Alex.

- Je sais. Mais j'ai besoin de toi pour m'expliquer le monde.

- Que ? Comment ?

- Par exemple, la robe de Dreamer est bien marron ? Et sa crinière noire ?

- Euh... oui.

- OK. Et ces taches sur ses jambes, elles sont de quelle couleur ?

- Blanches. Et ça s'appelle des balzanes. Mais je ne comprend pas... Tu n'es pas daltonienne, donc tu vois les couleurs normalement, non ?

- Bah oui, enfin je crois. Mais je n'ai jamais appris à associer les mots à des couleurs... Alors quand je vois quelque-chose, je me dis que ça doit être de cette couleur, mais je suis pas sûre. Tu vois ce que je veux dire ?

- Oui, je crois.

On resta un moment muets, le silence ponctué par Dreamer qui mastiquait sa paille.

- Bon, s'éveilla soudain Alex. Je pense qu'il est temps que tu saches tout ça, du coup. Vas-y, cherche la couleur que tu veux.

Il sortit son téléphone et me le tendit. Une barre de recherche s'affichait sur le haut de l'écran, et en bas, ce que je supposais être un clavier. Ce dernier était rempli de signes bizarres.

En voyant que j'hésitais, il me demanda :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Je sentis mon visage se réchauffer lorsque je répondis, en évitant son regard :

- Je... C'est pareil pour les lettres et les chiffres... Je n'ai appris à lire qu'en braille...

- Ah bah oui, je suis bête, s'esclaffa Alex. Bon, dis moi quelle couleur tu veux alors.

- Hum... Les différentes nuances de bleu ?

- C'est parti !

Il tapa à toute vitesse des mots clés dans la barre de recherche et commença à me montrer des tonnes de couleurs, plus ou moins différentes les unes des autres.

Nous finîmes par sortir et il me montra des objets que je ne connaissais pas, tels que la fourche ou le tracteur du club. En début d'après-midi cependant, je commençai à me sentir coupable du tracas que je devais causer à ma mère.

- Alex ?

- Hum ?

- Je vais y aller. Je ne veux pas que cette escapade prenne une trop grande ampleur, et ma mère doit se ronger les sangs.

Il eut un sourire un peu désolé, comme s'il se sentait responsable de m'avoir retenue ici.

- À mercredi alors, me salua-t-il.

Je lui fis un signe de la main puis partis en courant, comptant profiter de mes yeux pour rentrer, cette fois.

Je découvris avec stupeur que le chemin de chez moi était magnifique. Des fleurs multicolores entouraient l'allée et des arbres centenaires tendaient leurs nombreuses branches vers les nuages. Le reste du jardin était quand à lui parsemé de fleurs sauvages, que personne n'avait fait pousser et qui étaient là, malgré tout. Ma mère n'avait jamais pu partager cette beauté avec qui que ce soit - mon père n'étant pas vraiment porté fleurs. Je comprenais maintenant pourquoi elle allait si souvent lire ou se reposer dans le jardin.

Je fis le plein de toutes ces belles images, puis fermai de nouveau les yeux. Le noir m'envahit, à la fois familier et étranger. Mes paupières luttèrent pour se rouvrir, mais je résistai. Cette fois, je sus avec certitude que si j'entrais les yeux fermés, ils se rouvriraient aveugles.

Mais je l'acceptais. Je savais que ma vue reviendrait à un moment et si je ne savais pas encore pourquoi ni comment ce phénomène avait lieu, je commençais à comprendre. Comprendre quoi ? Aucune idée. Juste comprendre.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant