Chapitre 28

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Les vibrations de mon téléphone me réveillèrent. Avec un grognement, je m'en emparai et écarquillai les yeux. Qui diable m'appelait à 6h16 du matin ?! Je décrochai sans réussir à lire le nom du contact, les lettres dansant devant mes yeux. Je notai qu'au moins, je voyais toujours.

- Allo ? maugréai-je d'une voix pâteuse.

- Hola, guapa ! Como estas ? claironna Alex joyeusement.

Je beuguai une seconde.

- Euh... Il est un peu tôt pour faire de l'espagnol, Alex.

- Désolé, s'esclaffa-t-il. Je viens juste de passer la frontière, alors j'ai pas pu me retenir de t'appeler. J'arrive chez moi dans une heure environ.

- Hm, acquiesçai-je pour cacher le fait que je souriais. C'était sympa alors, l'Espagne ?

- Muy sympatico, si !

- Ecoutez moi ce crétin qui devient bilingue.

- T'es juste jalouse de mon accent muy bonito ! Bon, toi, ça va ? T'as fait quoi dernièrement ?

- Eh ben pas grand-chose en fait. Désolée de casser l'ambiance, mais je suis à l'hôpital en ce moment.

- M*rde, pourquoi ?! s'affola-t-il en redevenant sérieux d'un coup. Tu vas bien ?

- On peut dire ça... Mais c'est un peu long à expliquer et pour être franche je préfère t'avoir en face pour t'en parler.

Malgré tous mes efforts, ma voix avait tremblé sur les derniers mots.

- Je devrais sortir bientôt, OK ? tentai-je pour le rassurer. On se verra à ce moment-là, dans trois jours tout au plus.

- T'es à quel hôpital ? me demanda-t-il soudain, l'air énervé.

- Euh...la Clinique St. Pierre, je crois, pourquoi ?

- Je te rappelle. A tout de suite.

Il raccrocha et, complètement paumée, je passai une bonne minute à réfléchir à ses paroles. Mais n'étant pas du matin, je peinais à activer mes pauvres neurones et décidai donc qu'avant toute chose, un petit déjeuner s'imposait. Avec l'impression d'être une célébrité, j'appuyai sur l'alarme qui signifiait "j'ai faim" puis me levai pour m'habiller en attendant. On m'apporta un chocolat chaud - la seule chose potable dans cet hôpital - et du pain qui m'avait l'air bien sec. Je jetai ce dernier à la poubelle, discrètement, puis avalai mon chocolat avec délice. J'entrepris ensuite de regarder des vidéos sur les chevaux en attendant son appel.

Il était neuf heures lorsque mon téléphone vibra enfin. Je cessai aussitôt mon yoga - c'était censé me détendre, tu parles, ça m'énervait - et me précipitai pour décrocher. Mais à ma grande déception, il s'agissait seulement d'un SMS. Je l'ouvris en marmonnant. On ne disait pas "je te rappelle" pour envoyer des SMS, quoi !

Alex : C quoi ton num de chambre ? PS : Je suis en bas  ;-)

Les larmes me montèrent aussitôt aux yeux, et je souris, émue. Il revenait à peine en France et il venait déjà me voir, alors qu'il était probablement mort de fatigue et que son envie première n'était sûrement pas d'aller visiter un hôpital.

Moi : La 64. Merci <3

Alex : Je cours, je vole !

Bien qu'étant au bord des larmes, j'éclatai de rire. Il avait inexplicablement toujours le mot pour rire. Pour me faire rire. Ou sourire. Ce que je prenais au début pour des moqueries étaient en réalité sa façon d'appréhender le monde. Un peu enfantine, pleine d'humour et d'autodérision. Mais il savait parler sincèrement aux gens quand c'était nécessaire.

Trois coup frappés à la porte me firent sursauter. Courant vers celle-ci, je trébuchai environ cinq fois avant d'atteindre ma destination. J'ouvris enfin le battant en grand et pus recommencer à respirer. Un sourire jusqu'aux oreilles, je soufflai :

- Tu es là.

- Oui, acquiesça-t-il, un sourire également plaqué sur le visage.

Et tout naturellement, comme s'il avait fait ça toute sa vie, il me prit dans ses bras. Mon cœur s'emballa, je rougis comme une pivoine, et pourtant je ne m'étais jamais sentie aussi bien. J'enroulai à mon tour mes bras autour de lui, avec force, comme une bouée dans une tempête. Une seule larme coula, et je me pris à espérer que ce serait la dernière. Pour aujourd'hui en tout cas.

Alex s'écarta finalement et, bien qu'étant au mois de juin, je frissonnai. 

- Qu'est-ce qui s'est passé ? me demanda-t-il d'une voix douce. Ca va ?

- Tu ne veux pas t'asseoir, d'abord ? Ca risque d'être un peu long... 

Aussitôt, il se laissa tomber sur mon lit, et je m'installai en face de lui. Prenant une grande inspiration, j'entrepris de lui raconter comment Gabriel avait découvert mes flashes, puis la descente aux enfers, jusqu'à ne plus savoir qui j'étais. Je lui racontai le flashback et mon évanouissement aussi. Je n'omis aucun détail - sauf la conversation avec Gabriel, car il ne m'appartenait pas de le lui dire. Lorsque j'eus fini, il resta pensif un moment, puis me questionna :

- Tu penses que Gaby a deviné tout seul ?

- Pas toi ?

- Ca me parait louche. Vu ce que tu m'as dit, il peut très bien se souvenir de ta chute et donc du fait que tu voyais. En plus, il est allé direct prévenir la gérante ou autre, qui a dû appeler ta mère.

- Tu crois qu'il savait ? murmurai-je, sous le choc. Il savait, il m'a vue me débattre avec mon désespoir et il n'a rien dit ? Quel sal*pard.

Evidemment, mes larmes se remirent aussitôt à couler. Je les essuyai avec rage. 

- Je suis désolé pour toi, Miru. Je te promets que ça va s'arranger, ok ?

Il attendit mon hochement de tête pour continuer. 

- Tu vois de plus en plus, non ? Qui sait, peut-être que tu vas vraiment recouvrer la vue entièrement !

Aïe, mauvaise idée pour me consoler, ça.

- Peut-être, Alex. Sauf que je dois me faire opérer du cerveau pour ça, tu vois ? Et y a 20% de chances que ça rate et que je reste aveugle à vie ! Je...je sais pas si j'ai la force d'encourir ce risque. Oh et puis m*rde à la fin, j'en ai marre de chialer !

Des larmes, encore et toujours des larmes. Mais pas que dans mes yeux cette fois. Ceux d'Alex aussi étaient trop brillants. Hésitant cette fois, il me reprit dans ses bras, et j'acceptai son étreinte avec soulagement.

- Je suis désolé Miru. Vraiment. Je te promets que ça ira.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant