Chapitre 17

87 12 6
                                    

Je me dirigeai vers le pré de Dreamer lorsqu'on m'apostropha.

- Miru ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Ma prof d'équitation. Je décelai une autre présence à côté d'elle.

- Euh... Bonjour madame... Et, qui ?

- Je m'appelle Amy, me renseigna l'inconnue.

- Salut Amy, moi c'est...

- Miru, j'ai entendu ça, sourit-elle. Tu es venue voir Dreamer ?

- Ah... Comment tu sais ? m'étonnai-je.

- J'étais au centre à ton dernier cours. Ton inquiétude pour lui se voyait comme le nez au milieu de la figure.

Comme je ne savais pas quoi répondre, elle reprit la parole.

- Dreamer n'est pas dans son pré pour l'instant. On l'a mis au box à cause de sa blessure. Viens, je vais t'y conduire.

Elle n'essaya pas de me prendre le bras, se contentant de marcher lentement pour que je puisse suivre. J'appréciais de plus en plus cette fille. Elle me parlait comme à une personne normale et ne me traitait pas comme une handicapée moteur.

- Tu prends des cours ici, toi aussi ? lui demandai-je.

- Je monte de temps en temps, mais je suis apprentie palefrenière en fait.

- Ah d'accord ! Ça consiste en quoi ?

- Bah je cure les boxes, je brosse les chevaux, je les travaille quand il y en a besoin... Rien de bien sorcier, rit-elle. Bon, Dreamer est là.

Les questions que je voulais lui poser s'évaporèrent lorsqu'un henissement familier atteignit mes oreilles. Je me précipitai vers lui et posai délicatement ma main sur son chanfrein.

- Salut le gros, murmurai-je. Eh ben alors, tu t'es fait mal ?

Il souffla et me renifla les cheveux. Je le laissai faire en souriant.

- Je peux entrer ? demandai-je à Amy, déjà une main sur la porte du box.

- Bah... Oui je suppose, hasarda-t-elle.

J'ouvris la porte qui grinça et m'assis sur la paille.

- Fais gaffe à ce qu'il t'écrases pas, quand même ! plaisanta Amy.

Je laissai échapper un petit rire puis retournai mon attention vers Dreamer.

Il avait baissé la tête vers moi. J'entendis un froissement dans la paille.

- Qu'est-ce qu'il fait ? m'étonnai-je.

- Il se couche, répondit Amy. C'est trop mignon !

Le cheval se retrouva en effet à ma hauteur et je pris son énorme tête entre mes bras. Je lui murmurai une berceuse, avec des paroles que je ne comprenais pas moi-même, mais qui, bizarrement, nous apaisa tous les deux.

Je dus m'endormir, car je fus réveillée par le grincement du portail du club et des voix angoissées. Mon ouïe portait loin, faute de pouvoir voir, et je reconnus les voix de ma mère et de Mme Arned.

Je paniquai. Je n'avais pas envie de passer la semaine prochaine enfermée dans ma chambre à écouter des sermons.

Après avoir effleuré le chanfrein de Dreamer pour lui dire au revoir, je me levai et sortis du box en refermant soigneusement derrière moi. Si Dreamer s'échappait et aggravait sa blessure, je m'en voudrais horriblement.

Je m'interrogeai à toute vitesse. Il était d'autant plus difficile de trouver une cachette quand on ne la voyait pas.

- Ta mère est là, murmura une voix dans mon oreille.

Alex. Gabriel devait être avec lui, car à présent que je me concentrais, je distinguai deux présences.

- Aaah ! m'écriai-je. Depuis quand t'es là ?!

- Vu l'humeur de ta mère, tu dois pas être autorisée à venir ici toute seule, rétorqua-t-il sans répondre à ma question. Ça va chauffer pour toi.

- Je sais, merci, ripostai-je amèrement.

- Tu veux qu'on t'aide à te cacher ?

- Eh, Alex, ne m'implique pas là dedans, se renfrogna Gabriel, glacial. C'est toi qui voulais l'aider, pas moi.

Je cherchai vainement ce que j'avais pu faire pour provoquer cette froideur. Il était pourtant sympa au début... Mais des pas qui remontaient l'allée me ramenèrent au présent, et je secouai Alex.

- Elles arrivent, vite !

- Tu les entends déjà ? s'étonna l'adolescent. J'entends rien, moi...

- Oui, mais comme tu l'as si bien fait remarqué tout à l'heure, je suis aveugle, j'ai donc une ouïe plus développée que la tienne. Je te fais un exposé ou on peut y aller avant de se faire choper ?

J'entendis le petit rire que Gabriel n'avait pas réussi à retenir. La tête d'Alex devait être des plus drôles. Je me plu à l'imaginer, une moue boudeuse sur le visage, certaine qu'il ne se faisait pas clouer le bec si souvent. Je souris.

- On y va, grommela-t-il. Suis moi.

Je me guidai au bruit des pas devant moi, goûtant la fraîcheur de la brise qui, je le savait, annonçait le début de la nuit.

Le murmure du vent se tut et je m'aperçus que nous étions entrés... Quelque part. Ça sentait le bois et le foin, le cuir aussi. Une grange, peut-être ?

Nous nous couchâmes derrière des bottes de paille, silencieux.
Puis nous attendîmes.
Longtemps.
Peu à peu, la respiration des garçons se régularisa. S'accorda. Pour n'en former plus qu'une. Je me calai sur ce rythme pour me détendre et fermai les yeux.

Tu es belle quand tu souris.

Qu'est-ce que pouvait vouloir dire belle,  pour quelqu'un qui ne pouvait pas en juger ? Que signifiait cet adjectif pour une aveugle comme moi ?
Je m'étais toujours fichue de mon apparence comme de l'an quarante, puisque cela ne changerait pas ce que moi, je voyait.

Tu es belle quand tu souris.

J'eus subitement chaud, et un sentiment inconnu de mes sens fit battre mon coeur. Un peu plus vite, un peu plus fort qu'à l'accoutumée peut-être.

Dans le noir de ma nuit, une nouvelle étoile venait de naître, diffusant sa lumière, ténue, mais réelle.

Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant