Chapitre 16

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La semaine passait avec une lenteur exaspérante, si bien que le lundi, au bord de la crise de nerf, je décidai de sécher mes cours à domicile et de me rendre au centre équestre. Seule.

Bien que toute personne sensée aurait trouvé cette expédition imprudente (au mieux) ou complètement débile (au pire), la seule chose qui me préoccupait était la santé de Dreamer.

Je partis donc seule, avec une vague idée du chemin et mon GPS qui m'emmènerait dans un bar louche au Venezuela si je l'écoutais...

J'errai ainsi durant une bonne heure - en sachant qu'une personne normale aurait fait le trajet en 15 minutes - avant d'arriver devant un portail en fer qui semblait être celui du club. Malheureusement, il était fermé, et malgré mes efforts, je ne parvins pas à localiser la serrure, encore moins à l'ouvrir donc...

- Je peux t'aider ? demanda soudain une voix amusée à droite de moi.

Je sursautai et pris une demi-seconde pour fouiller dans les tiroirs de mon cerveau afin de savoir à qui appartenait ce timbre. Je n'aurais pas dû. Le nom me revint en tête et je tressaillis.

- Non, rétorquai-je d'une voix tranchante. Passe ton chemin, Alex.

- Bah, si tu veux bien me laisser passer, parce mon chemin il est là, argua-t-il, narquois. J'ai cours de cheval, c'est un peu pour ça que je suis venu.

Je m'écartai et le fusillai en pensée, à défaut de pouvoir le faire avec mes yeux. Je sentais presque de la fumée me sortir des oreilles tellement ce garçon m'horripilait.

- Tu entres où ?...

Je pris bien soin de le bousculer en passant, en espérant qu'il ne pense pas que ma cécité y soit pour quelque chose. Puis je me hâtai sur le chemin de terre - que je connaissais désormais par cœur - peu désireuse de continuer à profiter de sa compagnie.

Malheureusement, il me rattrapa et le calvaire se poursuivit.

- Qu'est-ce que tu fais aux écuries un lundi ?

Silence

- Hé ho !

Silence

- Ouh ouh, je te parle.

Silence.
Il finirait bien par comprendre.

- Super, en plus d'être aveugle, t'es sourde maintenant.

Cette phrase fut comme une décharge électrique. Je me retournai et d'un même élan, lui mis une claque monumentale. Des oiseaux à droite de nous s'envolèrent.

- La ferme ! T'as pas fini de me faire ch*er ? D'abord tu te fous de moi parce que je monte mal et maintenant tu te moques de mon handicap ?! J'ai pas demandé à être comme ça, OK ?! Donc si tu veux pouvoir mâcher au moins d'un côté, tu fermes ta grande gu*ule et tu me fous la paix !

Des larmes brûlantes de rage remplirent mes yeux - il allait vraiment falloir que j'arrête de pleurer pour rien.

En face de moi, Alex gardait le silence.
D'accord, j'étais allée trop loin, mais même ma famille évitait de prononcer le mot "aveugle" devant moi. Alors lui, déjà que j'avais envie de le frapper dès le départ,...

Bien que n'en ayant aucune envie, je m'excusai :

- Désolée, marmonnai-je. Je... Je déteste ce mot.

Après quelques secondes, il sembla m'avoir entendue.

- Quel mot ?

Je tressaillis, incapable de le dire.

- Ce que je suis.

- Une fille ? s'enquit-il en souriant. Tu as peur du mot fille ?

C'était tellement inattendu que j'éclatai de rire. Mais la situation repris vite le dessus et je perdis mon sourire.

- Non... (J'inspirai un bon coup :) Aveugle.

- Ah...

Il réfléchit puis reprit la parole.

- Tu penses vraiment que c'est le mot qui te définit ?

- Bah oui, aquiesçai-je.

- Tu ne te résume pas à ça.

- Peut-être, mais c'est ce que tout le monde voit. Je suis quoi d'autre, selon toi ?

- Comme je l'ai dit tout à l'heure, jusqu'à preuve du contraire, tu es une fille, rigola-t-il. Ensuite, tu es sacrément violente et susceptible quand tu t'y mets.

Il frotta sa joue gauche.

- Très drôle, râlai-je. T'as fini ?

- Mais quand tu arrêtes de frapper les pauvres gens sans défense, continua-t-il tandis je levai mes yeux au ciel, il s'avère que tu es assez sympa.

Je ne pus m'empêcher d'esquisser un petit sourire.

- Et enfin, tu es belle quand tu souris.

Alex tourna ensuite les talons, tandis que mes joues devaient disputer le titre de la chose la plus rouge de l'année avec une tomate. J'attendis que mes joues refroidissent et que le bruit de ses pas ne soit plus qu'un souvenir avant de m'engager dans la même direction que lui.

Aussi étrange que soit ce garçon, il ne fallait pas que j'oublie pourquoi j'étais  ici. D'un pas actif, je me dirigeai vers le centre équestre, recentrée sur mon inquiétude première. Dreamer.


Donne Moi Tes YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant