Chapitre 1 : «Quoi? Tu t'en viens à Montréal?»

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15 juillet, 14h20

Léa

Je suis assise sur une chaise longue, sous le parasol. Philippe est assis sur moi, face à moi, sa joue contre ma poitrine, ses jambes écartées autour de ma taille. Il dort paisiblement comme ça depuis au moins une heure. Avec Philippe, je me sens comme la plus belle et la plus merveilleuse des filles et il m'arrive de me dire qu'il est le seul homme dont j'ai besoin dans ma vie. À ce moment, malheureusement, un petit détail me revient en mémoire; Philippe va avoir 2 ans le mois prochain et il est mon neveu. Des trois enfants de ma sœur, Philippe est définitivement mon préféré. C'est peut-être parce qu'il est le plus Augustin des 3, celui qui a les cheveux les plus frisés, la peau la plus foncée. C'est probablement surtout parce qu'il est le plus doux, le plus affectueux et le plus souriant.

Marie et Anne, ses sœurs, sont dans la piscine. Je suis officiellement là pour les surveiller mais je ne suis pas très inquiète, elles sont toutes deux de bonnes nageuses. Anne fête son 5e anniversaire aujourd'hui et, tout à l'heure, la piscine, la cour et la maison de ma sœur seront bondées d'enfants excités et de leurs parents.

Pour l'instant, ma sœur est en train de finaliser les préparatifs pour la fête avec Jérémie. Ils sont peut-être aussi en train de s'embrasser, comme je les ai trouvés tantôt quand je suis arrivée à leur maison d'Outremont. Les 3 enfants étaient alors dans la salle de jeu et Jérémie et Maeva étaient dans la cuisine, lui assis sur un tabouret, elle debout devant lui, en train de s'embrasser comme des adolescents. Maeva et Jérémie ont beau être ensemble depuis 12 ans et avoir eu 3 enfants, ils n'ont jamais mis fin à leurs démonstrations publiques d'affection. J'avoue que je suis un peu jalouse de ma sœur pour ça, les chances que je rencontre un homme qui va m'aimer autant que Jérémie l'aime me semblent bien minces. D'un autre côté, je ne crois pas que je serais prête à faire tous les compromis que chacun d'eux a fait pour que la carrière de l'autre soit à la hauteur de ses ambitions. 

Le premier compromis de ma sœur a eu lieu lors de l'échange de Jérémie à Vancouver, lorsqu'elle a choisi de suivre Jérémie au lieu d'accepter le poste de pharmacienne qui lui était offert au CHUM. Ça s'est produit à la date limite des transactions, l'année qui a suivi la conquête de la Coupe Stanley par les Canadiens. Cette année-là, après les retraites plus ou moins attendues de Colin Miller, Jack Cooper et James McMahon et les innombrables blessures de Liam O'Connor, les Canadiens ont connu la pire saison de leur existence, n'arrivant qu'une seule fois dans l'année à gagner 2 matchs de suite. Jérémie Simard, mon beau-frère, se faisait alors constamment montrer du doigt, lui qui, pourtant, avait été un acteur important de la conquête de la Coupe Stanley et qui était le meilleur pointeur de l'équipe pendant la majeure partie de la saison. Les Canucks de Vancouver, qui cherchaient désespérément un ailier gauche pour leur joueur-vedette Evan Ottawa, ont alors proposé un choix de première ronde au repêchage aux Canadiens pour Jérémie, qui allait devenir joueur autonome à la fin de la saison. Rétrospectivement, cet échange a été le point tournant de la carrière de Jérémie. À son arrivée à Vancouver, Jérémie n'était plus un 2e choix au total au repêchage capricieux qui faisait la grève pour ne pas aller jouer dans la Ligue Américaine. Il n'était pas non-plus un joueur-vedette francophone qui ne répondait pas aux attentes irréalistes qu'on avait pour lui, qui se faisait constamment critiquer et qui devait jouer le rôle de porte-parole plus souvent qu'à son tour. À Vancouver, Jérémie n'était vu que comme un ailier gauche encore jeune mais expérimenté, qui produisait à un rythme d'environ un point par match, qui venait de gagner la Coupe Stanley et qui s'entendait déjà bien avec Evan Ottawa. Et effectivement, leur complicité a immédiatement fait des flammèches et ils ont mené les Canucks à la Coupe Stanley cette année-là. L'année suivante, toujours en jouant sur le trio d'Evan, Jérémie a connu une saison de 93 points. Lorsque les Jeux Olympiques sont arrivés un an plus tard, les dirigeants n'ont pas voulu briser leur duo et Jérémie a pu faire partie de l'équipe qui a permis au Canada de remporter la médaille d'argent. La même année, les Canucks ont gagné la Coupe Stanley une fois de plus. Les succès offensifs de Jérémie se sont ensuite poursuivis par la suite avec 3 saisons consécutives de plus de 100 points, suivies d'une autre participation aux Jeux Olympiques qui a mené à une médaille d'or.

Micro et mises en échecOù les histoires vivent. Découvrez maintenant