Micro et mises en échec

Chapitre 6 : « Ça, est-ce que c'est toi qui se réessaies? »

12 novembre, 13h10

Léa

Chez les Simard, il y a une tradition familiale qui perdure depuis de nombreuses années, c'est le brunch dominical. Durant la saison de hockey, pendant que Jérémie jouait à Vancouver, ce n'était pas possible de réunir tout le monde mais les membres de sa famille se rencontraient à leur restaurant préféré de Joliette alors que Jérémie, Maeva et les enfants se joignaient à eux virtuellement. Évidemment, depuis le retour de Jérémie et Maeva à Montréal, la tradition s'est poursuivie de plus belle, mais en personne.

Aujourd'hui, toutefois, on est dimanche et il n'y a pas de brunch dans la famille Simard. Les parents de Jérémie et mes parents sont partis ensemble en vacances pour 2 semaines au nouveau Club Med qui a ouvert l'an dernier en Haïti, sur la Côte des Arcadins. Au fil des années, ils sont devenus bons amis et, outre leurs petits-enfants, ils se sont découvert de nombreux intérêts communs, le golf pour mon père et M. Simard, la lecture pour mes deux parents et Mme Simard, la natation pour ma mère et Mme Simard, et les voyages bien sûr. Quand mes parents sont allés passer une semaine dans ce fameux Club Med l'an dernier, ils ont été enchantés par les installations et ils s'étaient promis d'y emmener leurs amis afin de leur faire découvrir leur pays d'origine.

Sans doute décontenancée par l'absence de brunch dans son horaire de la fin de semaine, et aussi par la journée complète de congé de Jérémie qui est revenu de Toronto avec les Canadiens au début de la nuit, ma sœur a décidé d'inviter ses amis pour bruncher à la maison. Elle a invité la famille de Liam et Virginie, Evan avec ses enfants et, puisqu'elle doit avoir pitié de sa pauvre sœur célibataire, ou peut-être aussi parce qu'elle avait besoin de quelqu'un pour surveiller ses enfants, elle m'a invitée.

Maintenant, le repas en soi est terminé et je suis assise sur le sofa du salon, qui consiste en une grande pièce avec un coin salon comme tel et un coin salle de jeux. Alors que les autres adultes sont encore en train de discuter ensemble à la table de la salle à manger, les enfants jouent en petits groupes. Daphné, Charles, Vincent et Marie jouent au hockey-balle dans le sous-sol sous la supervision de Zara, le golden retriever de la famille O'Connor, dont les jappements de joie agrémentent les cris d'exclamation des enfants. Micah, Anne et Chloé sont assises à une table dans un coin de la salle de jeux où elles font du coloriage alors que Philippe et Emerance s'affairent autour de la petite cuisinette qui est installée plus près de moi.

- 'egade Léa, ze t'ai fait un gâteau aux cayottes!

- Wow, ça l'air bon Philippe! Tu sais que j'aime beaucoup les gâteaux aux carottes!

- Oui, c'est ton gâteau péféhé!

- Moi, 'est un gâteau au cocolat que ze fais.

- C'est vrai Emy? J'aime beaucoup le gâteau au chocolat aussi!

Emerance et Philippe retournent à leur important travail de pâtisserie imaginaire. Maintenant qu'elle fait partie de l'équipe d'entraîneurs des Carabins, Victoria a pu avoir une place pour Emy à la garderie des employés de l'Université de Montréal que Philippe fréquente aussi et qui est située près de sa maison et de celle d'Evan. Comme ils n'ont que quelques mois de différence, Philippe et Emy sont dans le même groupe et jouent souvent ensemble. Ils sont vraiment mignons tous les deux; Philippe avec ses cheveux bouclés et Emy avec ses cheveux raides coupés carrés et son petit toupet. Je pense à mon père qui aurait sûrement beaucoup de choses à dire en les voyant, les deux sont le résultat de l'union de personnes descendantes de peuples conquérants et de peuples ayant souffert de l'arrivée de ces peuples sur leurs terres qui ont surmonté leurs différences pour vivre dans l'harmonie. Je ne sais pas ce que mon père penserait d'ailleurs s'il savait ce qui s'est passé entre Evan et moi, il serait probablement un peu découragé que ses filles semblent seulement attirées par des joueurs de hockey plutôt que par des intellectuels comme lui. En tout cas moi, dans mes rêves romantiques les plus fous, j'imagine Philippe et Emerance se marier dans une trentaine d'années et avoir des enfants d'origine haïtienne-atikamekw-québécoise-canadienne-anglaise et même ukrainienne par la mère de Victoria.