Chapitre 3 : « Je pensais que ce serait correct, que j'en étais revenue... »

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25 septembre, 12h14

Léa

C'est confirmé, Evan Ottawa m'énerve. C'est la semaine passée, lors de ses premières entrevues suite au début du camp d'entraînement qu'il a commencé à me tomber sur les nerfs. En fait, ce n'est pas tant lui que sa perfection qui m'énerve. 

On aurait pensé qu'un gars comme lui, dont le français n'est même pas la langue maternelle, qui a passé toute sa carrière dans un milieu anglophone et qui été marié avec une canadienne unilingue anglaise aurait de la difficulté à donner ses entrevues en français mais non, il ne cherche jamais ses mots, il connaît tous les bons termes. Hier, par exemple, après un match Rouges contre Blancs, il nous a parlé de dégagement refusé, de mise en échec, de mise au jeu, de tir sur réception, de rebond, de filet, de rondelle, de juges de ligne, de hors-jeu, d'entraîneur, de compagnon de trio, de punition pour avoir fait trébucher...Il ne fait pas d'erreur de syntaxe non-plus, contrairement à certains de ses coéquipiers pourtant bien francophones comme Nathan Dussault. En plus, il prend le temps de réfléchir à sa réponse pour toutes les questions et il n'utilise jamais de cliché. Et, bon, on ne peut pas nier qu'il est photogénique, télégénique et tout ça, c'est comme si le temps n'avait qu'un effet bénéfique sur lui et qu'il est encore plus beau d'une année à l'autre. Il n'y a jamais de mauvais angle de caméra pour lui, il paraît bien dans toutes les situations : avec son uniforme et son casque, en short, en chandail de sport et en gougounes dans le vestiaire, avec sa casquette à l'envers ou à l'endroit sur la tête, en jeans et en t-shirt, en polo et en bermuda quand il joue au golf, en complet-cravate...et...euh...surtout... mais ça il ne faut pas trop le dire parce que ce n'est pas tout le monde qui l'a vu comme ça...en maillot de bain dans la piscine. 

Inutile de dire que tous mes collègues, hommes et femmes, sont complètement pâmés sur lui. Je n'ai jamais vu une telle adoration unanime dans la salle de presse. Mais j'avoue que certains ont l'air un peu jaloux de moi parce qu'Evan semble tout le temps prendre plus de temps pour répondre à mes questions. Et quand quelqu'un demande une question que j'ai déjà posée ou qui va dans le même sens que l'une de mes questions, Evan mentionne tout le temps mon nom dans sa réponse : « Comme je l'ai dit à Mme Augustin... », « Comme je l'expliquais tout à l'heure à Mme Augustin... ». Et bon, c'est à moi qu'il a accordé une entrevue exclusive lorsqu'il a été échangé aux Canadiens. C'est vrai que ça me fait sentir spéciale et que ça me rappelle qu'il a été l'un des éléments importants de ma propre carrière mais, n'empêche, il m'énerve et encore plus depuis 5 minutes.

Je viens de terminer une intervention à Sports 30 en direct du Complexe Bell à Brossard. Les Canadiens étaient sur la patinoire pour une pratique en vue du match préparatoire de ce soir contre les Bruins. J'étais sur le bord de la patinoire, dans la porte qui permet aux joueurs d'entrer qui était restée ouverte. Pendant que j'étais dos à la patinoire, Evan a freiné brusquement juste derrière moi et m'a éclaboussée avec la glace puis, quelques secondes plus tard, c'est Jérémie qui a fait la même chose. On voyait leurs visages hilares derrière moi sur la caméra. Mon collègue Benjamin, qui anime Sports 30 aujourd'hui, a trouvé la scène très drôle :

- Alors Léa, on peut voir que les présences d'Evan Ottawa et du nouvel assistant-entraîneur Jérémie Simard se font bien sentir au camp d'entraînement du Canadien ce matin.

- Euh oui, en effet Benjamin!

J'ai terminé mon intervention sans d'autres problèmes mais je me promets bien de trouver une façon de me venger dans les prochains jours.

Là, je suis toujours sur le bord de la patinoire avec certains de mes collègues de RDS. La pratique des Canadiens vient de se terminer et celle des Bruins devrait débuter sous peu. Liam est près de moi, en train de discuter avec son cameraman lorsqu'il semble recevoir une notification sur son téléphone et qu'il relève la tête pour me regarder. Il s'approche de moi :

Micro et mises en échecOù les histoires vivent. Découvrez maintenant