30 - En cavale

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Les jours avaient défilé, la vie suivant son cours autour du couple qui n'en était pas vraiment un. C'est près de deux semaines après les retrouvailles que Baptiste sembla enfin revenir à lui, un dimanche matin où Lucas n'avait rien vu venir.
Il était installé dans le canapé lorsque le brun déboula la chambre, l'air déterminé. Il se mit à fouiller les tiroirs du couloir, plongeant ses mains dans les poches des manteaux suspendus de ses amis. Cela attira immédiatement l'attention du garçon, qui se redressa. 

"- Baptiste ?"

Mais l'autre ne l'écoutait pas, et continuait de faire des allers-retours à toute vitesse. Manifestement il cherchait quelque chose, mais Lucas ne comprenait pas quoi.

"- Putain, elles sont où ?"

Le son de cette voix, rocailleuse d'avoir été laissée de côté si longtemps, le surprit tant qu'il ne répondit pas. Il se contenta de le fixer, bouche-bée, attendant qu'il recommence.

"- T'as du les récupérer quand t'es allé chez moi nan ? Dis moi où elles sont.
- De-de quoi tu parles Bapt' ?
- Mes clés de voiture !
- Mais tu vas pas prendre le volant ? Pour aller où ?
- Je fais ce que je veux putain, c'est ma voiture. Allez."

En automatique, Lucas se rendit dans sa chambre pour y récupérer la veste de Baptiste, dans laquelle il savait avoir rangé les clés et tous ses papiers. Il lui ramena, et le garçon s'en saisit avec violence, sans toujours lui jeter un regard. Il s'apprêtait à lui tourner le dos en direction de la porte d'entrée, mais le benjamin lui attrapa le bras :

"- Mais attends ! Tu vas où ?"

Il se dégagea immédiatement de l'étreinte, sans surprise, mais il s'était stoppé dans son élan, peut-être plus enclin à discuter.

"- S'il te plait, je veux juste savoir que tu vas rien faire de stupide.
- C'est de leur faute tout ça. 
- Oh Bapt'... T'as pas besoin d'aller les voir.
- Si. Il faut que je sache pourquoi ils ont fait ça. Comment ils ont pu faire un truc pareil à leur fils."

Les yeux toujours fixés sur le côté, il sembla remarquer la peur de Lucas et ajouta :

"- C'est bon, je vais revenir."

Et il sortit, claquant la porte derrière lui.

L'attente ne fut pas si longue que le garçon en eut l'impression, mais il était si inquiet de le voir revenir qu'il respira enfin quand il entendit la voiture de Baptiste se garer. Son souffle se coupa de nouveau à la découverte de son visage meurtri. Ses pommettes rougies allaient parfaitement avec le filet de sang séché le long de son arcade. Il avait pourtant ce même regard fermé, inexpressif, que Lucas lui connaissait si bien. Il aurait voulu se retenir, lui laisser de l'espace, mais il ne réussit pas à s'empêcher de se précipiter sur lui :

"- Oh mon dieu, il s'est passé quoi ? Tu vas bien ?"

Il voulu effleurer ses blessures, mais des mains l'en empêchèrent. Des phalanges toutes aussi blessées.

"- Baptiste... Tu t'es battu avec lui  ?
- Tu sais ce qu'il a dit quand il m'a vu arriver ? La première chose ?"

Il laissa planer un silence, comme s'il n'arrivait toujours pas à en revenir :

"- Qu'ils avaient payé pour le mois entier, et que c'était pas remboursable. Que ça leur a coûté une fortune pour rien ! Je l'avais jamais vu aussi dégoûté, et je sais même pas si c'était moi ou l'argent le problème. 
- Baptiste...
- Merde ! Il m'a parlé d'argent, d'argent, tu te rends compte ? J'arrive même pas à me regarder dans un putain de miroir. J'arrive même pas à te regarder.
- Oh Baptiste..."

Avec toute la délicatesse dont il était capable, il l'attira vers le canapé, et l'y assit. Etonnamment, il se saisit du verre d'eau qu'il lui tendit ensuite, et ne bougea pas pendant que Lucas cherchait un bol d'eau tiède et des compresses. Par peur de l'effrayer, il ne s'installa pas trop près de lui, mais se saisit tout de même de sa main. Avec soulagement, il ne le vit pas sursauter, ou se soustraire. 

"- Parle moi. Je sais que t'es perdu, en colère contre eux, mais j'ai besoin que tu me parles, je sais pas quoi faire.
- C'est contre toi que je suis en colère Lucas."

Il frissonna de l'entendre prononcer son prénom, avant de comprendre le sens de sa phrase.

"- J'ai beaucoup pensé tu sais, ces derniers mois. J'avais rien d'autre à foutre de toute façon. Mes parents ont toujours été comme ça. J'ai rien fait de spécial. Mais t'es arrivé, et t'as changé toutes les règles. La faute de qui d'autre ça aurait pu être, hein ?
- Je, tu peux pas me demander de m'excuser de t'aimer Bapt'. Je le ferais pas. J'ai pas à m'excuser pour ça.
- Mais si !"

Il ramena à lui la main sur laquelle Lucas était en train de mettre un pansement.

"- Ça vaut pas le coup. J'aurais pas du leur tenir tête à ce point, j'aurais juste du te quitter et passer à autre chose."

De toutes les discussions qu'il avait imaginées avec son copain, il n'aurait jamais cru mener celle là. Et c'était probablement la pire alternative possible. Mais il ne voulait pas être impulsif, et prendre le risque d'empirer la situation, ainsi il réfléchit avant de demander :

"- Pourquoi tu l'as pas fait alors ? Avant même la Belgique, pourquoi t'as pas cédé chez tes parents ?
- Parce que je t'aime putain. Après tout ce temps, tous les discours que ces putains de prêtres ont essayé de me faire rentrer dans le crâne, y a rien qui change. Il suffit que je pense à toi, que je rêve de toi, et c'est comme si je repartais de zéro. A chaque fois. 
- Je suis désolé...
- Tu veux pas t'excuser de m'aimer, par contre t'es désolé que je t'aime ?"

Un sourire. Maigre, mais un sourire tout de même, et cela signifiait le monde pour Lucas.

"- Qu'est-ce qui va arriver maintenant ? J'ai pas payé mon loyer depuis quatre mois, mon proprio m'a probablement foutu dehors. J'ai vu les messages de Julien, il a été obligé d'employer quelqu'un à ma place. J'ai pas eu le courage d'ouvrir Twitch mais les gens m'ont forcément oublié, c'est fini. J'ai plus rien. 
- C'est pas vrai. Corentin a payé ton loyer, et avant que tu râles il peut largement se le permettre.
- Ce sale riche...
- Exactement, sourit-il. Julien te reprendra, tu le sais très bien, il avait juste besoin d'un remplacement pendant ton absence. Et pour Twitch j'en sais rien, mais t'avais attiré les gens une première fois, pourquoi tu pourrais pas le faire de nouveau ? T'as pas perdu les choses importantes. Je suis toujours là. Tu sais à quel point tout le monde s'inquiète pour toi ? Même Barbara."

Il essayait d'arborer un sourire rassurant, mais il ne pouvait que voir le doute dans les yeux sombres du brun. 

"- T'as fais le plus dur Bapt'. T'as survécu à cette pression, à cette putain de propagande insensée, ça va aller maintenant. 
- C'était pas le plus dur Lu'. C'est maintenant le plus dur."

Et si Lucas ne compris pas cette phrase sur l'instant, elle finit par résonner avec justesse en lui. A mesure qu'il voyait les jours, les semaines, passer, et les nuits s'éterniser.
Dès le soir de leur première discussion, ils avaient décidé d'aller s'installer chez Baptiste, qui s'y sentirait probablement plus tranquille. Lucas dormait dans le canapé, mais lorsque les cauchemars réveillaient inévitablement l'aîné au milieu de la nuit, il était autorisé à rentrer dans sa chambre. Lui tenir la main, lui parler. Et comme un animal qu'on apprivoise, Baptiste finit par ne plus avoir peur de laisser le petit s'approcher.
Le plus dur n'était peut-être entièrement derrière eux, mais à présent ils étaient ensemble, et pour Lucas il n'y avait pas de meilleur présage. 

Avant que nos étoiles n'explosentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant