17 - On tiendra jusqu'au printemps

512 54 83
                                    

Assis dans la réserve du bar dans lequel il travaille, Baptiste s'était perdu dans ses pensées. De l'extérieur, on devinait les vagues qui agitaient son âme, mais à l'intérieur, les vagues devenaient des tsunamis. Chaque nouvelle idée détruisait la précédente, dans un combat qui paraissait sans fin. Et il avait l'impression de se noyer. Le plus idiot dans tout ça? Le seul rayon qui lui parvient dans ses profondeurs abyssales, est son beau blond.

A trop vouloir s'approcher du soleil, il s'était brûlé, voilà ce qui finit par conclure les lamentations de Baptiste. Il ne peut pas tomber amoureux de Lucas. Il ne peut pas. Cette lumière qui l'attire tant, qui fait battre son cœur engourdi depuis si longtemps. Bien sûr qu'il avait aimé Cassandra, mais cela n'a rien à voir. C'était une histoire simple, fluide, sans grande effusion de sentiments. Ils s'aimaient bien, étaient heureux ensemble, ça leur avait suffit. Avec Lucas tout était bien plus compliqué, brouillon, plus fort. Ce n'était pas juste de l'affection, c'était pire. Il ne voulait même pas penser à ce mot idiot, car il avait peur que l'évidence ne s'impose à lui. L'amour... Cette lumière qui le fait revivre. C'est de ça qu'il s'agit au fond : Lucas le fait ressortir d'une longue torpeur, et si les papillons qui peuplaient son ventre avaient un certain charme, vivre s'accompagne de peurs. Et elles sont tout le temps là maintenant qu'il est pleinement conscient du monde qui l'entoure. Tout le temps. Était ce ainsi pour tout le monde? Vivre est si terrifiant...! Quelques années auparavant, il n'aurait eu aucune hésitation à recaler l'enthousiasme débordant de son ami, quitte à le blesser avec, pour lui faire perdre cette innocence bête et naïve face à la vie.
Non, il se voilait la face, il ne s'agissait pas de quelques années auparavant, tout a changé depuis leur rencontre seulement. En à peine quelques semaines, mois, il était passé de la fascination pour ce petit être naïf et plein d'espoir, à un attachement pur, profond. Viscéral. Et ça lui donnait l'envie de le secouer avec violence : ne voyait il pas qu'il attendait trop de la vie ? Qu'il serait nécessairement déçu ? Il avait envie de le protéger autant qu'il souhaitait le détruire. L'embrasser, et le repousser. Merde. Lucas l'a fait, il l'a embrassé. Et Baptiste l'a repoussé, avant de s'enfuir dans le salon, et de laisser l'appartement avant que celui ci ne se réveille. C'était il y a deux jours, et il avait soigneusement ignoré ses appels et messages d'excuses depuis; comme s'il suffisait de s'excuser... Il ne lui en voulait pas de l'avoir embrassé, il lui en voulait d'exister. De venir et bouleverser son existence facile et bien dirigée avec sa persistance, sa curiosité, sa simplicité.

"- Putain."

Il jura, et sortit son téléphone pour voir que Lucas était encore en train d'essayer de l'appeler, et il détesta qu'il s'accroche à lui à ce point. Il ne lui devait rien, rien du tout. Il n'avait jamais demandé à ce qu'il l'embrasse, bien au contraire, si maintenant il traversait une crise existentielle et regrettait, ce n'était absolument pas son problème. Qu'il se débrouille tout seul avec ses états d'âme à deux balles. Voilà le problème de mecs dans son genre, ils ne savent pas garder leurs sentiments pour eux, il n'avait pas à supporter ces effusions. Il n'avait rien à y répondre. En sentant sa poche vibrer de nouveau il se leva, et quitta le bar. Si Lucas voulait parler, ils allaient parler.

⁂⁂⁂


"- Je ne suis pas celui que tu crois Lucas.
- Oh pitié Baptiste, tu ne vas pas me sortir le couplet du badboy dangereux pour moi ?"

Les deux hommes se fixaient, sans bouger. Le plus jeune paraissait désabusé, mais ce n'était qu'une façade : ces paroles l'inquiétaient, profondément. Il ne voulait pas avoir à supplier de rester, il n'en était pas capable. Si le brun décidait de tout laisser tomber, il ne pourrait pas le retenir : même si son cœur voudrait déjà s'accrocher au cou de son aîné, son cerveau était catégorique; il ne serait pas celui qui supplie, pas cette fois.

"- Je suis sérieux Lucas.
- Mais moi aussi. Tu veux perdre ton temps comme ça ? C'est pas mon problème. Je m'en remettrais. Mais je te garantis pas que je serais toujours là quand tu changeras d'avis et reviendra m'implorer.
- Qui te dit que je reviendrais t'implorer ? C'est toi celui qui cherche toujours de l'attention, pas l'inverse, pas vrai ?"

Aïe, touché. Lucas tenta de rester impassible, mais une lumière venait de se briser en lui : il connaissait très bien ses points faibles, et en jouait. Comment pouvait-il s'en trouver réduit à ça ?

"- Tu cherches à me blesser pour que je te déteste, hein ? Comme ça t'auras plus le choix de revenir en arrière. Tu pourras te morfondre en te disant que c'est trop tard. Je te connaissais moins lâche que ça."

Les yeux de l'asiatique s'assombrirent, dans une teinte que le blond n'avait jamais connue, du moins dirigée contre lui. Les poings serrés, il rétorqua, acerbe :

"- Tu ne sais rien de moi. Tu crois que tu sais. Tu crois que tu m'apprécies. C'est facile de se donner un genre, et passer pour le clown de service, mais t'as aucune idée de qui je suis en vrai. Arrête d'être si naïf, merde, c'est pas moi que tu aimes."

Le blond perdait patience, et il savait qu'il regretterait tôt ou tard ses paroles, mais il ne supportait pas qu'on le pense fragile, influençable : lui aussi pouvait prendre ses propres décisions, il n'avait pas besoin qu'on décide pour lui.

"- Qu'est ce que tu crois exactement ? Que je suis éperdument amoureux de toi ? Regarde toi, toujours besoin de te cacher derrière une façade parce que t'es pas foutu de trouver le courage de t'assumer. Toujours à donner des grandes leçons, alors que celui qui en aurait vraiment besoin, c'est toi."

Les deux amis se mesuraient, sans peser la portée de leurs paroles. Tout ce qu'ils voulaient était de blesser l'autre, comme ils souffraient à chaque mot. Irrationnellement, ils voulaient rendre coup pour coup :

"- Ah ouais ? Pourtant c'est pas toi qui m'a embrassé, prêt à en redemander même quand je t'ai recalé, comme une petite pute ?"

Ce sourire en coin lorsqu'il balança fièrement sa pique fût celui de trop. Oh, Lucas n'était pas un homme violent pourtant, mais lorsqu'il se jeta sur Baptiste, il ne pensait qu'à une chose : détruire ce joli visage qu'il aimait tant. Il voulait faire disparaitre ce sourire qui lui faisait si mal, faire taire cette bouche qui ne voulait cesser de le détruire. Alors il frappa. Ce n'était pas son ami qu'il voulait blesser, c'était ce monstre qu'ils formaient. Ils ne se reconnaissaient plus. Lucas frappa, et il n'entendait même pas les gémissements du brun, qui n'essayait même pas de se débattre. En un instant pourtant, il sentit qu'on lui agrippa les poignets et qu'on le fit basculer. Il tenta de se débattre, mais il se trouva écrasé par ce corps qui le surplombait. Baptiste lâcha un des poignets du plus jeune et souleva sa main au dessus d'un visage où la peur se lu soudainement.

"- Merde Lucas, regarde nous..."

L'aîné s'effondra sur le plus petit, qui ne réagit pas sous la surprise. Il lui caressa la tête, tremblant :

"- Je suis désolé, je suis tellement désolé, je voulais pas nous faire ça, je suis désolé..."

La tête nichée dans le cou de celui qui ne bougeait toujours pas, il se mit à pleurer, répétant en boucle ses excuses. Lucas lui saisit le visage:

"- Baptiste, regarde moi."

Il n'osait pas jeter, ne serait-ce qu'un regard, dans sa direction.

"- Regarde moi Bapt'! répéta-t-il, autoritaire.
- Je ne peux pas, je peux pas... C'est à cause de moi tout ça, regarde ce que j'ai fait de toi...
- On va surmonter ça, je te le promets, on va s'en sortir, tous les deux."

Mais il n'en était pas si sûr. Il caressait le visage meurtri de son ami - par ses propres mains -, et il se demandait : peut-on se remettre d'une telle chose ? Ne se le pardonneraient-ils jamais ?
Tremblants, sur ce sol froid, ils finirent par s'endormir. Une question tournait cependant dans leurs esprits effrayés : que se passerait-t-il lorsque la lueur du jour viendrait éclairer leurs péchés ?

Avant que nos étoiles n'explosentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant