Mon dos se redresse, je m'extirpe des draps. Assis sur le rebord du lit, mon regard vide s'incline. Les premiers rayons de soleil caressent ma peau, je ne peux m'empêcher de soupirer. Lorsque je me tourne, je l'aperçois, encore endormi. Son air paisible et innocent fait serrer mon cœur. Je l'ai fait. J'ai couché avec mon élève. Je n'arrive pas à le concevoir. Je ne me pensais pas aussi naïf. Mes mains viennent couvrir mon visage. Je suis amoureux de mon élève. Je suis tombé en plein dans le piège. Une haine fulgurante envers moi-même me parcours. Je dois partir. Il le faut. Mais, si j'ai ce courage, je lui briserai le cœur. Que se passerait-il, par la suite ? Comment ferions-nous, lors des cours ? Dans les couloirs ? Et les réunions parents-enseignants ? Comment pourrais-je scruter ses parents sans me répéter inlassablement que j'ai volé la virginité de leur fils de dix-huit ans ? Comment vais-je surmonter mon erreur ? Les larmes me montent aux yeux. Je suis monstrueux. Comment ai-je pu me permettre d'aimer un élève. Comment ai-je pu. Je nous ai conduit à notre séparation. À présent, il ne s'agit plus de quelques promenades mains dans la mains, ni de simplement faire connaissance et de se lorgner avec des yeux doux. J'ai couché avec lui. Je m'avance et me rhabille. Je dois partir. Alors que je me rends dans la cuisine déserte, un grincement résonne. Tommy apparaît là, dans le cadre de la porte. Ses yeux plissés et son torse nu témoignent encore de son épuisement. Je rougis bêtement, me plaçant face au comptoir. Je ne peux pas le voir. C'est trop cruel. Ses bras entourent ma taille et son nez se loge dans mon cou.
« Où tu vas, comme ça ? »
Son murmure me procure des milliards de frissons. Je prends une profonde inspiration, tente d'arborer un air strict. Il ne doit pas me regretter.
« *Vous, Thomas. Vous. »
Je me tourne dans un souffle. Nos regards s'ancrent, ses sourcils se froncent. Je m'explique : « Nous devons arrêter. Je suis ton professeur. » Ses lèvres s'entrouvrent et ses yeux brillent.
« Arrêter ? Mais... cette nuit...
— Cette nuit était une erreur. Jamais je n'aurais dû m'offrir à toi et te laisser m'aimer. J'ai été stupide et inconscient. »
J'aperçois son visage se décomposer.
« Une... erreur ? »
Il reste béant un instant.
« Tu... Tu le regrettes réellement ? Tu n'as pas aimé ? »
Son ton chevrotant me fait craquer. Je ne tiendrai jamais ces airs sévères et sans cœur. Je soupire : « Tommy... Tu ne m'as pas compris. Cette nuit m'a semblée divine. Tu as été incroyable et j'ai adoré me rapprocher de toi. Mais cet amour reste une erreur. Je n'ai pas le droit de t'aimer. La loi m'en empêche. Je risque gros, très gros.
— Je... Je ne dirai rien ! Je te le jure ! S'il te plaît, n'arrêtons rien ! Tu... Tu ne peux pas m'abandonner !
— Plus tôt nous arrêterons, plus tôt nous guérirons. Fais-moi confiance. Nous nous trompons. Je ne peux pas être ton conjoint. Je dois rester ton professeur d'histoire. Rien de plus.
— Mais... je t'aime... murmure-t-il.
— Moi aussi, Tommy. Moi aussi... souffle-je. Je suis profondément navré.
— Non, non... il doit y avoir une solution ! Nous n'avons qu'à nous cacher jusqu'à la fin de l'année ! Après, nous serons libre !
— Nous cacher ? N'est-ce pas ce que nous faisons déjà ?
— Je voulais dire... éviter les lieux sociaux ! Et ne nous rencontrons plus chez moi, lorsque mes parents ne sont absents ! Allons plutôt chez toi !
— Chez... moi ? blêmis-je. Tommy... ce serait m'enfoncer davantage...
— Chez moi, chez toi... Qu'est-ce que ça change ?
— Et si tu n'étais pas réellement consentant ? Tu n'es qu'un adolescent, tu ne peux pas savoir ce genre de chose !
— Newton ! Tu as seulement vingt-sept ans ! Un rien nous sépare !
— Tu ne comprends pas... J'adorerais te dire que nous pouvons nous aimer librement et que cette nuit ne sera pas la dernière. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas. Tu dois l'accepter, Tommy.
— C'est injuste... renifle-t-il. Tu ne peux pas me dire ça après cette nuit. Tu ne peux pas !
— J'avais bu, Thomas ! Je ne pensais plus aux conséquences de mes actes ! Je n'ai pas réfléchis au lendemain, je me suis laissé emporter !
— Tu m'as utilisé... murmure-t-il. »
Mon cœur se déchire dans un hurlement muet. Comment peut-il croire une telle chose ?
« Non... Non, évidemment que non... chuchote-je. Jamais je n'ai voulu t'utiliser. Si c'était le cas, tu te doutes bien que je n'aurais pas choisi un de mes élèves ! rétorque-je. Je t'interdis de penser cela, Tommy. Je te l'interdis. Je me suis mis en danger pour t'aimer. Ce serait injuste.
— Tu me le promets ? soupire-t-il.
— Je te le promets. insiste-je. »
Le silence nous enveloppe. Que pouvons-nous rajouter ? Nous sommes coincés dans les mœurs de notre société et piégés par la loi. Espérer un quelconque avenir serait insensé. Je le vois m'approcher. Sans ménagement, il frôle nos lèvres. Nos fronts se soutiennent et un soupir m'échappe. Ses yeux ambrés me sondent longuement.
« Tu es tellement beau. »
Mes paupières se closent. Je ne peux pas tolérer un tel discours. Je ne dois pas. Je réponds pourtant : « Tu l'es bien plus. » Un maigre sourire étire ses lèvres. J'aperçois l'une de ses larmes dévaler sur sa joue. Mon pouce vient l'essuyer avec tendresse. Je l'entends renifler.
« Promets-moi de ne pas me lâcher. S'il te plaît. »
Ses sanglots brouillent la distinction de ses mots. Je scelle nos lèvres avec amertume.
« Je ferai de mon possible, Tommy. »
Ainsi, nous nous enlaçons.