Chapitre 13

128 18 0
                                    

Héloïse


Je me réveille en sursaut par réflexe, une alarme de survie s'est déclenchée dans mon cerveau.

Je n'ai pas froid.

C'est confortable.

Ça sent bon.

C'est silencieux.

Ça sent vraiment bon.

J'ouvre les yeux, me demandant où je suis avant que ma mémoire ne se réveille à son tour, profitant elle aussi d'un repos bien mérité. Je sens le sourire qui s'épanouit sur mon visage alors que je plonge mon nez dans la couverture épaisse que Kayleigh a déposée sur moi. M'installant confortablement, la tête sur le plus douillet des oreillers que je n'ai jamais vu de toute ma vie, qui sent tellement bon, je referme les yeux et me laisse gagner par le sommeil.

Bon anniversaire en avance Héloïse.

Mon cerveau est conditionné par la rue, je me réveille donc avec l'aube. L'appartement est silencieux, j'en profite pour visiter et je commence par passer la tête dans le cadre de la porte de la chambre de Kayleigh, vérifier si elle dort où si elle veille en surveillant que je ne vole rien. Je plaque ma main sur ma bouche, me retenant de rire alors que je l'écoute ronfler doucement.

Elle me fait confiance.

Je retourne dans le salon et regarde les tableaux accrochés au mur, ses livres. Je sors mon nécessaire et je vais faire ma toilette sans faire de bruit. Ça n'a tout simplement pas de prix ce qu'elle m'a offert hier. Un abri. Une vraie nuit. Une salle de bain. Une machine à laver. Sa confiance. Je ne pourrais jamais rembourser cette dette de vie. Je lui suis redevable à un point qu'elle ne conçoit même pas. Je ne suis pas certaine qu'elle aurait fait la même chose avec une autre épave de la vie, et je suis contente qu'elle le fasse pour moi bien que je ne comprenne pas sa motivation et son but. Oui, je suis une fille, jeune, alors que cherche-t-elle ? Si son but est de me renvoyer chez ma mère, ça finira mal entre nous, il faut qu'elle en soit consciente. Si elle veut autre chose de moi, je me battrai de toute mon énergie, je ne suis pas une prostituée.

Je me sers un verre d'eau, dans un verre. La sensation de boire dans un verre est tellement différente de celle du plastique ou du métal, tellement plus agréable. Je récupère plein de petits bouts de bonheur pour me donner de l'énergie et des souvenirs pour les mois à venir. Je me remplis un nouveau verre d'eau et je retourne m'asseoir dans le canapé. J'ai plié la couverture, posé l'oreiller dessus, puis ouvert les rideaux pour regarder dehors. Je reste assise, profitant de la chaleur, du calme, du confort. J'ai faim, mais je respecte Kayleigh, aussi je ne touche à rien. J'ai vu des fruits sur son comptoir, mais je ne la vole pas.

Je regarde le jour se lever à travers une fenêtre, et, même si ce n'est pas vraiment le cas, je sens la chaleur du jour caresser et réchauffer ma peau avec douceur. Mon imagination se met en route. Je m'imagine vivre ici, avec Kayleigh, aller à l'école. Je m'approche de la fenêtre et je regarde dehors, ayant un autre point de vue sur elle, la rue. Normalement, à cette heure-ci j'aurais fini ma toilette et je me mettrais en quête de nourriture, proposant mon aide à droite ou à gauche pour une bricole à grignoter, à boire. J'ai appris à me débrouiller comme j'ai pu, abusant de ma jeunesse et de mes yeux de biche apeurée pour attirer un peu de pitié. Mais Kayleigh, elle m'a offert son aide sans me voir la première fois. Quand je suis revenue la voir pour un chocolat chaud, j'ai senti sa bonté. Elle n'était pas feinte ni forcée. Cette femme est génétiquement généreuse et gentille. Je me demande comment sont ses parents pour lui avoir donné cette éducation. Moi, je faisais de mon mieux pour ma mère. Je travaillais fort à l'école pour avoir de bonnes notes, je me donnais des valeurs pour qu'elle soit fière quand l'école, les commerçants du quartier lui parlaient de moi, mais sa maladie a été plus forte, ses médicaments pas assez. Je sais qu'elle m'aimait, qu'elle ne m'a jamais reproché le départ de mon père, que c'est sa maladie qui lui faisait dire ses mots qui me blessaient, qui la faisait me faire du mal. Je regarde une maman tenir sa fille par la main pour l'emmener à l'école, plus loin des jeunes de mon âge se retrouver, se saluer et partir aussi en cours. J'essuie mes yeux machinalement. L'école me manque. J'aimais tellement étudier, apprendre des choses. Sauf le sport, encore moins la piscine. Je ne pouvais pas y aller, je trouvais toujours des excuses. Malgré moi, ma main se pose sur mon torse, les doigts passant doucement sur mes cicatrices. Je pleure quand je vois des lycéens passer, d'autres encore plus âgés. Je regarde ce qu'aurait pu être ma vie, ce qu'aurait dû être ma vie. Je suis persuadée que j'aurais aimé aller au lycée. L'université. M'asseoir dans un amphithéâtre. J'avais des rêves, comme tout le monde. Je me voyais docteure, sauvant des vies, cherchant une façon de soigner ma mère. La science, c'était mes cours préférés, faire des expériences. Je n'avais que des 20, comme en français et en mathématiques. Maintenant, j'ai manqué toute une année scolaire. Je n'ai ouvert aucun livre, rien appris si ce n'est la dure réalité de la vie. Je n'irais pas au lycée ni à l'université. Je n'ai plus d'avenir. Je me sens même stupide d'avoir seulement pu rêver que je ferais des études. J'avais un bandeau sur les yeux. Jamais je ne m'en serais sorti, l'état de ma mère ne s'arrangeait pas et il ne faisait que s'aggraver depuis qu'elle avait perdu son travail et que les reproches commencèrent. Je m'éloigne de la fenêtre, pour éviter d'autres élans utopiques qui me font du mal, et je me retourne pour regarder l'appartement de Kayleigh. Ce n'est pas luxueux et moderne, mais il est riche de sa personnalité. On s'y sent bien. Je réfléchis à sa proposition de rester avec elle, et ça me touche tellement. J'ai une espèce d'émotion étrange dans mon ventre, je ne sais pas vraiment ce que c'est. Un toit, une chambre, une vraie chambre, juste pour moi. Mais je ne sais pas ce que je vais faire de mes journées. Si elle m'offre un toit, ce n'est pas pour que je passe mes journées dans la rue à faire la manche. Je ne vais pas rester là et regarder la télévision, à l'attendre quand elle rentre le soir comme un animal de compagnie. Est-ce qu'elle s'attend à ce que je couche avec elle ? Est-ce qu'elle est lesbienne ? Elle m'a dit qu'elle a fait l'amour hier, mais je ne vois aucune photographie dans l'appartement. Il n'y a aucun objet qui indique une présence masculine non plus.

Est-ce que je pourrais faire ça ?

Je secoue ma tête pour chasser ces idées. Je ne la connais pas, mais je ne pense pas que ce soit son genre. C'est une très jolie femme, elle doit avoir plein de prétendants qui la courtisent. Je retourne m'asseoir sur le canapé pour réfléchir à ce que je peux faire. Il existe plein de formations professionnelles, je pourrais apprendre un métier. Je suis brillante, ça ira vite, mais pour ça, il faut avoir des pièces d'identité. S'ils vérifient, ils vont apprendre que j'ai fugué, que je suis portée disparue. Ma mère a dû prévenir la police de ma disparition, je suppose. C'est ce qu'une maman ferait, normalement.

As-tu signalé ma disparition, maman ?

Je sais que ma prière est illusoire, je me raccroche au souvenir de ma mère quand tout allait bien, quand sa maladie n'avait pas encore pris le dessus sur sa personnalité.

J'entends l'alarme de Kayleigh sonner et quand elle bâille en se réveillant, je ne peux m'empêcher de rire. On aurait dit un animal dans un dessin animé. Je l'imagine, s'étirer et se gratter le ventre ou la tête.

Cupidon ne doit plus avoir de flèches ou il ne m'a jamais vue !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant