Chapitre 18

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Héloïse


J'ai mal au ventre ce matin, mais pour la première fois j'ai quelqu'un à qui poser des questions. Kayleigh est patiente avec moi, et m'a demandé de rester à la maison aujourd'hui, de rester au chaud sous les couvertures, et de garder un coussin sur mon ventre, pour avoir encore plus de chaleur. Celle que je commence à considérer comme une grande sœur m'installe dans le canapé, et me prépare un thé à la menthe. J'ai beau lui dire que je suis capable de me le faire, elle insiste, alors j'en profite. Je suis allongée, l'écoutant se préparer et une bise sur mon front me réveille alors qu'elle s'en va faire sa journée.

Camille est en congé aujourd'hui et lui promet qu'elle va passer me voir. Je l'adore cette fille, on est devenue proche, parce ce que je ressemble un peu à sa sœur qui a douze ans. Elle m'aime beaucoup depuis que je me suis proposée pour l'aider avec ses devoirs. Le soir même, elle avait débarqué chez Kayleigh avec Laurence, comme les alliés en 44. Camille et Kayleigh discutaient, assises dans le canapé, tout en nous écoutant discrètement. Je crois que Kayleigh n'avait pas pris conscience que j'étais une très bonne élève, et en même temps, ce n'est pas vraiment un membre de ma famille, nous n'en avons jamais discuté. Laurence est dissipée, elle a un énorme surplus d'énergie qui ne demande qu'à être canalisé. Il y avait une fille comme elle dans ma classe, elle souffrait d'un trouble de l'attention, le TDAH. Camille n'en parle pas, je me demande s'il a été diagnostiqué. Pour le moment, je fais de mon mieux, lui donnant des astuces avec ses exercices de mathématiques, en l'aidant en français. Je sais au fond de moi que je peux aider Laurence, alors je le fais. C'est ma façon de remercier Camille d'être une amie et de rendre Kayleigh heureuse. Nous voyant régulièrement, Laurence améliore ses notes. Tous les soirs, Camille va courir avec Laurence, lui faisant réciter des leçons en même temps, comme des poèmes, des passages de pièces de Molière. Ça l'aide un peu, et elle en développe même une méthode de travail.

Je vois Camille souvent, pour ne pas dire tous les jours. C'est le genre de fille à qui je voudrais ressembler en grandissant. Elle semble sortie d'un dessin animé japonais, avec son attitude, sa façon de s'habiller, de se comporter. Je serais lesbienne, je voudrais avoir une petite amie comme Camille. Quand elle sonne à l'intercom, je lui ouvre la porte, elle ne fait que passer en coup de vent, mais c'est suffisant, c'est un geste qui a de l'importance. Elle le fait pour moi, pour Kayleigh. Je suis toujours complexée quand elle me serre dans ses bras, je n'ai pas de poitrine par rapport à elle, je me demande si je vais rester comme je suis. Elle reste un peu pour discuter, me faire rire, et me fait des câlins avant de repartir.

Je prends des livres, des magazines dans la bibliothèque pour regarder et lire des recettes, pour apprendre, tout en écoutant une chaîne qui ne passe que des émissions de cuisine. Je sais ce que je veux faire dans la vie, mais pas cuisinière dans un restaurant, il y a trop de monde pour moi, en quelques mois je suis devenue un peu agoraphobe. Mon repas consiste en quelques fruits. Je remarque que j'ai repris un peu de poids depuis que je vis avec Kayleigh. Quand je me regarde dans le miroir de la chambre, mes côtes sont moins apparentes, je n'ai plus les joues creuses, ma physionomie a un peu changé.

Éteignant la télévision, je retourne sous ma couverture et m'endors paisiblement. Dans trois mois, je serais partie de chez ma mère depuis un an. Je me laisse une note mentale de demander à Kayleigh de vérifier à quel âge on peut demander son émancipation. Je veux vivre sans avoir peur de devoir retourner chez ma mère. Je veux rester ici parce que l'on tient à moi.

Noël approche, et je sais que Kayleigh envisage d'aller chez ses parents. Je me demande ce que je vais faire, c'est mon premier Noël toute seule. Nous allons installer les décorations ce week-end avec Kayleigh, d'abord à la boutique, ensuite à la maison. Je sais que Camille reste dans sa famille. Il n'y aura que moi, la sans-famille. En même temps, ce n'est qu'une soirée. Je sais que le lendemain, je serai couverte de bisous par Kayleigh et que nous allons dormir dans le même lit. Ce sera sa façon de s'excuser, même si elle n'en a pas besoin. Je vis chez elle depuis un mois, et je commence à peine à croire que la rue n'a été qu'un cauchemar, tant ma vie avec elle semble durer depuis plus longtemps. Tant la complicité qui s'est installée entre nous est forte. Je sais qu'elle attend que je lui parle, mais j'ai honte de moi, de mon corps.

Le soleil commence à baisser quand on frappe à la porte, me réveillant. Je trouve ça bizarre que quelqu'un frappe, à moins que ce soit Laurence qui soit entrée avec un des locataires. Mais quand j'ouvre, ce n'est pas Laurence ni Camille. J'ai déjà vu le visage de l'homme qui se tient dans le couloir, mais je ne parviens pas à le situer. Il ressemble à l'un des acteurs d'un film que j'ai regardé avec Kayleigh il y a quelques jours, un truc où il y avait des fusillades et des explosions partout. Je n'y connais rien en films, donc son nom m'échappe complètement.

« Oui ? » demandai-je en attendant qu'il parle.

« J'habite au-dessus. Est-ce que vous auriez reçu du courrier par erreur, à mon nom ?

— Non, je ne suis pas descendue chercher le courrier aujourd'hui », dis-je en m'apprêtant à refermer la porte.

« Et l'autre femme, la brune, elle aurait peut-être pris le courrier ?

— Non.

— Pourriez-vous vérifier dans la pile là-bas ? » dit-il en pointant du doigt le meuble où Kayleigh dépose son courrier.

« Il n'y a rien », répétai-je en haussant un peu le ton.

À l'instant où il pose le pied dans l'appartement, tous mes réflexes de méfiance et de défense reviennent. Il vient de pénétrer dans mon espace vital, dans mon refuge. Je le vis comme une agression. M'approchant du placard, je fouille dans la poche de mon vieux manteau et en sors mon cutter.

« Sortez de chez-moi », le menaçais-je en déployant la lame, tout regrettant immédiatement mon geste.

Le voisin me regarde, surpris, mais il continue d'avancer vers le courrier. Je m'interpose, la lame prête à s'abattre.

« Barres-toi avant que je te crève ! » dis-je en grognant, le regard sévère.

Le voisin recule enfin et dès qu'il est dans le couloir, je referme la porte pour relâcher mon souffle. Mon cœur bat la chamade, mais l'adrénaline commence à retomber. Je réagis rapidement, me précipitant dans ma chambre, ouvrant les tiroirs de ma commode, puis mon placard pour y récupérer mon sac à dos. Imaginant très bien le voisin appeler la police, je me saisis de plusieurs vêtements et les fourre dans mon sac. Kayleigh a tenu à renouveler ma garde-robe, alors j'ai des jeans de meilleure qualité, des vêtements plus chauds et plus appropriés pour l'hiver.

Mon sac et ma valise remplis, je fonce dans l'entrée, je prends mon manteau, un épais et plus chaud que mon vieux manteau, et j'y range mon cutter. Je mets mes bottes, mon bonnet et c'est à ce moment que je me regarde dans le miroir. Bonnet noir posé jusqu'aux sourcils, mes longs cheveux noirs légèrement ondulés me tombent sur les épaules. Tout défile dans ma tête, c'est comme la dernière fois, mais en beaucoup plus douloureux, car les personnes que je laisse derrière moi m'aiment et je les aime aussi. Je dois m'éloigner le plus vite possible, Kayleigh risque d'avoir des ennuis à cause de moi, comme je l'ai toujours craint. Je réfléchis à toute vitesse, le cœur battant à la chamade. Il faut absolument que je trouve une solution, mais dans l'immédiat je suis juste en mode panique totale.

Je place les bretelles de mon sac sur mes épaules en m'approchant de la porte d'entrée après avoir récupéré l'enveloppe de mes salaires que Kayleigh laisse dans l'entrée. J'hésite un instant, ma main sur la poignée de la porte, en regardant autour de moi. Je retourne ensuite dans la cuisine pour laisser un mot. Je ne peux pas lui faire ça, pas après tout ce qu'elle a fait pour moi. Elle a été une vraie famille pour moi ces dernières semaines. Je laisse un mot bref, la remerciant, et je termine avec des mots qui me font pleurer en les écrivant. « Je t'aime ». Je n'ai jamais eu l'occasion de les prononcer, je ne me souviens même pas les avoir dits à ma mère. Mais je les écris pour la première fois. Je pose ma clé sur mon mot et, tournant le verrou, je referme la porte qui se verrouille derrière moi, non sans y avoir jeté un dernier regard.

Il faut que je trouve un abri.

À peine ai-je posé le pied dans la rue que j'angoisse. Je dois m'éloigner et vite. Où aller ? J'ai perdu mes repères. Je baisse lentement la tête et je me mets en marche, serrant son sac sur mon dos et tenant ma petite valise.

Me revoilà !

Cupidon ne doit plus avoir de flèches ou il ne m'a jamais vue !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant