Héloïse
Je passe une des plus belles journées de ma vie.
Je n'avais aucune appréhension en entrant dans la boutique de Kayleigh et la moindre parcelle de stress qui pouvait se cacher en moi disparaît instantanément dès qu'elle me présente comme sa cousine à son associé. Celui-ci me fait la bise, comme il la fait à Kayleigh et nous trouve même une petite ressemblance, ce qui me fait rougir. Ma cousine d'adoption me fait faire le tour officiellement, me présentant son commerce puis me mettant immédiatement au travail. Traversant la rue, je me rends dans l'atelier de Mia. Je ne pouvais pas la manquer, Kayleigh m'avait parlé d'une petite blonde qui illumine l'endroit comme un phare dans la nuit et elle n'avait pas tort. Elle est plus petite que moi, mais ses yeux verts et son sourire sont d'une chaleur incroyable. Je suis subitement gênée quand un attroupement se fait autour de moi, et m'assaille de questions. Elles se présentent toutes en m'enlaçant, me faisant la bise, j'ai l'impression d'avoir la bouche sèche tellement je parle. Je ne retiens presque aucun prénom, sauf un. Camille. Elle est vraiment jolie avec ses cheveux noirs et ses yeux bleus. C'est celle qui m'a le plus collé, me posant discrètement des questions, quasiment en chuchotant, voulant savoir si ma cousine m'a parlé d'elle. Elle rougit lorsque je confirme, lui répétant les mots « petite amie ». Je laisse les filles de Mia et je retourne à la boulangerie, un sourire niais sur mon visage. Kayleigh m'attend et, les bras chargés, nous faisons le tour des commerçants. À chaque fois c'est pareil, des embrassades, la présentation de la cousine de passage. Je suis contente quand la tournée est finie, j'en ai la tête qui tourne, c'est trop d'un seul coup. Trop d'affection, de bons sentiments. Je n'ai pas l'habitude et j'ai fait un effort considérable pour baisser mes défenses, tous ces câlins c'est... beaucoup trop, même pour un être humain normal. Et c'est comme ça tous les jours ! J'ai compris qu'ils s'entraident tous, servant aussi de service de sécurité. Je remarque que le quartier est propre, aucun graffiti, aucun déchet par terre. Quand j'en fais la remarque, Kayleigh m'explique qu'ils se connaissent tous et que les jeunes respectent le microcosme culturel du quartier. Même des sans-abri patrouillent le soir pour s'assurer que tout va bien, je comprends que c'est grâce à elle s'ils ne traînent pas dans leur quartier, à cause de ce qu'elle fait pour l'association. J'ai l'impression d'être entrée dans un mini monde utopique, un monde parallèle dont ma bienfaitrice est la reine.
De nouveau au chaud dans la boutique, Kayleigh passe un tablier autour de ma taille et me donne son cahier de recettes. Je n'ai jamais réellement fait à manger. Des pâtes, du riz, de la purée. C'est comme ça que je me nourrissais quand ma mère n'était pas en état ou d'humeur à me nourrir. Elle m'indique quelles recettes de salade nous allons faire aujourd'hui. Je lis, mais il y a des produits que je ne connais pas, dont je n'ai jamais entendu parler. Je ne dis rien pour beaucoup, procédant par élimination quand je reconnais des herbes, avant d'aller la déranger lui demandant si tel truc c'est de l'aneth ou du basilic. En faisant les préparations, je réalise que c'est comme à l'école, la cuisine c'est de la chimie. Ajouter tel ou tel ingrédient transforme un aliment. En mélangeant moutarde, jaune d'œuf et huile, on obtient de la mayonnaise. Je ne le savais pas. Pour moi, la mayonnaise c'est dans une bouteille en plastique, je ne m'étais jamais posé la question. Je vois Kayleigh me regarder du coin de l'œil, mais mon cerveau n'est plus là. Je lis les recettes, cherchant à comprendre.
Du beurre dans une casserole et de la farine. Je mélange, le résultat s'appelle un roux. Je rajoute du lait et c'est une sauce béchamel. Ça picote en moi comme en classe, quand un sujet me passionnait et que j'apprenais des choses.
Je suis les consignes que Kayleigh m'a données, et vais la voir une fois finie. Je remarque son coup d'œil à l'horloge.
J'ai pris trop de temps ?
Je stresse quand elle goûte et fond quand elle m'enlace et m'embrasse en me félicitant, me récompensant en me confiant la préparation des sandwichs. Je félicite Aaron pour ses pains, ils sont beaux et sentent bon. À nouveau, je respecte scrupuleusement les proportions indiquées et vais voir Kayleigh qui me félicite une fois de plus, me demandant d'aller tout placer dans les présentoirs au comptoir. Une cliente entre, je salue poliment en souriant, me présentant. Je prépare ce qu'elle me demande et appelle Kayleigh pour la prévenir, qui arrive et me présente comme sa cousine avant de me montrer comment fonctionne la caisse. Je ne sais pas comment elle fait d'habitude, mais je fais le tour du comptoir, comme je voyais faire dans les dramas japonais que je regardais dans mon ancienne vie, pour tendre ses achats à la cliente en la remerciant. Kayleigh m'enlace longuement et je sais, précisément à cet instant, que je vais y prendre goût. Elle me fournit toute la chaleur humaine qu'il me manque. Elle m'apprend à faire des biscuits, des gâteaux, je vois la passion dans ses yeux, ses gestes. Elle est magnifique. Je suis une éponge face à tout ce que j'apprends, face à ses explications.
La journée terminée, je l'aide à ranger, à nettoyer. Tout semble tellement naturel alors que c'est la première fois que nous sommes ensemble. Je passe aux toilettes avant de me changer et en revenant elle me tend une enveloppe, je sais immédiatement de quoi il s'agit et je refuse. La sans-abri en moi rêve de glisser l'enveloppe dans sa poche, en prévision du jour où je devrais retourner dans la rue, mais j'apprécie Kayleigh et elle me donne tant que je refuse. Je l'enlace en la remerciant avant d'aller sortir les poubelles. J'avais oublié. Ça me frappe brusquement. C'est ici que j'ai rencontré Kayleigh, si je ne m'étais pas installée ici, je ne l'aurais probablement jamais rencontrée, et je serais encore dehors. Je sens sa présence dans mon dos, ses bras m'enlacer, sa joue contre la mienne.
« Allez, viens. Rentrons. » dit-elle en passant un bras sur mes épaules. « N'y pense pas pour le moment. Je te garde tant que tu veux rester avec moi, OK ? »
Je ne réponds pas, me contentant de pivoter pour l'enlacer en reniflant. Elle m'offre son affection et cela a bien plus de valeur que le fait qu'elle m'offre un toit, un confort, me sorte de la rue.
Je serre mon bras contre le sien, je veux que cette journée reste parfaite afin de la chérir quand il ne me restera plus que ça comme souvenirs, en rentrant à la maison. La maison...
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Cupidon ne doit plus avoir de flèches ou il ne m'a jamais vue !
RomansaHéloïse, 14 ans, a fugué pour éviter de subir plus de sévices de la part de sa mère et vit désormais dans la rue, se nourrissant come elle peut et se réfugiant où elle le peut, luttant pour survivre. Kayleigh gère une pâtisserie et découvre, un soir...