Astrid
Je coupe le moteur, je suis arrivée sans encombre à Nassigny, devant l'église. Merci maman de m'avoir forcée à faire la conduite accompagnée. J'ai dû faire quelques détours à cause de voitures qui barraient la route, mais j'ai mis moins d'une heure en partant de Villefranche-d'Allier. Je m'attendais à bien pire.
Alors que je sors de la camionnette, je vois un mec d'une vingtaine d'années qui arrive vers moi en courant et en agitant la main. Je me coupe dans mon élan. Je remonte dans la camionnette et verrouille la porte. Qui est-ce ? Le jour du rendez-vous, c'est demain ; est-ce que lui aussi est venu en avance ? Le garçon s'arrête devant ma portière et toque. Il parle. Je n'entends qu'un son étouffé à travers la fenêtre. Je baisse finalement la vitre, mais de quelques centimètres seulement.
« Hey ! Ça va ? Je t'ai fais peur ? Toi aussi, tu es une membre du forum ?
— Je... euh... Dans l'ordre : oui, un peu, oui. Tu es qui ? 'Fin j'imagine bien que tu es membre du forum, mais sous quel pseudo ?
— Ah je suis super content ! Heureux de te voir ! Je suis Appolo77, mais tu peux m'appeler Léo. Et toi ? Valkyria peut-être ?— Gagné ! Mais appelle-moi par mon prénom, Astrid. »
Je sors de l'habitacle et verrouille la portière. Je tâte ma poche discrètement ma poche pour vérifier que j'ai bien mon couteau de chasse dedans. On ne sait jamais. Je suis Léo. Il me raconte qu'il est arrivé il y a à peine une demi-heure. Il a fait le tour du village, mais pas le moindre signe de vie. Vie humaine, précise-t-il. Par contre, il y a quelques cadavres à inhumer. Qu'il faudrait le faire dès aujourd'hui, afin d'éviter la propagation de maladies. On passe devant une maison dont une épouvantable odeur s'échappe. Je ne me sens pas prête à faire ce grand nettoyage. Je ne veux plus enterrer personne.
Léo propose de s'installer dans la mairie pour y passer la nuit. Le bâtiment semble assez ancien, mais l'intérieur est très bien entretenu. Et pas la moindre odeur désagréable. Un monospace Peugeot est garé dans la cour. Léo ouvre le coffre et sort d'une glacière deux sandwichs emballés dans du papier aluminium.« Tu en veux un ? » me demande-t-il. Je prends celui qu'il me tend et le remercie. Je commençais justement à avoir faim. On discute un peu pendant notre repas. Il me raconte brièvement son voyage depuis La-Roche-Sur-Yon. Il a dû faire un énorme détour à cause d'un accident qui bloquait la route sur laquelle il roulait. Et il a dormi dans sa voiture car il a cru avoir aperçu une meute de chiens. Je lui parle de ma famille que j'ai enterré. Il me dit qu'il a également enterré son père chez lequel il vivait. Il se met soudainement à pleurer. Il n'a pas eu de nouvelles de ses amis depuis le début de la Maladie. Il n'a pas voulu vérifier ses suppositions. Trop peur de voir la réalité en face. Il se sent lâche. Je le prends dans mes bras. Je comprends très bien ce qu'il ressent, moi aussi je me sens seule. Pleurer lui fait du bien. Finalement, il s'écarte de moi et sèche les larmes qui ont coulées sur sa joue. Je m'aperçoit qu'il a des belles tâches de rousseur.
« Désolé, dit-il en reniflant, allons nettoyer le village. Et promets-moi de ne pas parler de cet épisode aux autres s'il-te-plaît.
— D'accord, c'est promis. »
On commence par la maison devant la mairie. Par chance, la porte n'est pas verrouillée. Quand Léo ouvre celle-ci, une odeur nauséabonde agresse mes narines. On trouve deux personnes âgées dans la chambre à coucher. Difficile de savoir qui est mort en premier. Mais à les voir comme ça, côte à côte, je ne peux m'empêcher de sourire. Jusqu'à la mort, ils sont restés amoureux. Léo sort et revient une minute plus tard avec une civière qu'il à de toute évidence fabriquer lui-même. Il me donne une paire de gants que je m'empresse d'enfiler. Ils sont un peu trop grands. Léo s'en excuse. On décide de commencer par le papi. Le corps à déjà commencer à se décomposer. C'est froid. Je l'attrape par les pieds et Léo saisit les épaules. On le soulève et le pose sur la civière à côté du lit. Le corps est moins lourd que ce que je craignais. On sort de la maison et on dépose la civière dans une remorque trouvée dans une maison voisine. Je pars chercher ma pelle qui est toujours dans ma camionnette tandis que Léo accroche la remorque à sa voiture. Quand je reviens, le moteur tourne déjà. Je pose la pelle à côté du papi et monte à l'avant. La voiture est très encombrée mais Léo me fait de la place. On roule jusqu'au cimetière, pas très loin de là. Il y a encore pas mal de place dans celui-ci. On se met à creuser un grand trou. On ne parle pas pendant dans l'effort. J'essaie de ne penser à rien, mais cet exercice me rappelle de mauvais souvenirs. Au bout d'un certain temps, j'ai les muscles en feu, mon dos me fait mal et je transpire à grosses gouttes malgré la température printanière. Léo aussi est essoufflé par l'effort. Quelques minutes plus tard, le trou est terminé. On récupère la civière et nous déposons le corps délicatement au fond. Puis on repart chercher sa femme. Léo en profite pour récupérer une planche de bois récupérée dans le garage. Il y grave leurs noms au couteau : Claude et Michelle Avignon, ensemble jusqu'à la mort. Je souris tristement envers cette délicate attention. Une fois les deux corps six pieds sous terre, Léo enfonce la planche dans la terre retournée.
« On peut pas faire plus », dit-il. Ça nous a pris presque deux heures pour un seul couple. Je désespère devant l'ampleur de la tâche. On retourne dans la maison en face de la mairie. Le matelas et toute la literie sont bons à être jetés. J'ai la mauvaise idée d'ouvrir le frigo. Je vomis dans l'évier et referme la boîte de Pandore. Ça doit faire déjà quelques jours qu'il n'y a plus d'électricité. Tout ce qui était dans le frigo a moisi. Je trouve dans les placards de la cuisine quelques conserves. Je les glisse dans un sac. On ouvre toutes les fenêtres de la maison. En plus de la chambre principale, il y a aussi deux autres chambres inoccupées. On récupère les matelas, couettes et oreillers et on les met dans la plus grande salle de la mairie. La nuit commence déjà à tomber. On ouvre deux boîtes de cassoulet que l'on réchauffe dans une casserole à l'aide réchaud.
Après avoir diné, je sors dehors. Léo ne me rejoint pas, je crois qu'il a compris que j'avais besoin d'être un peu seule. Il fait très froid maintenant. Il n'y a pas de nuage dans le ciel, je peux voir toutes les étoiles. Et comme les lampadaires ne sont pas allumés, j'en vois encore plus que d'habitude. C'est magnifique. Ce spectacle m'apaise. Je me demande combien de personnes vont venir demain. Jamais je n'ai envisagé de mourir. Mais je ne voyais pas vraiment comment survivre seule. Mes chances de survie me semblent de plus en plus importantes aujourd'hui. Je me sens déjà moins seule avec Léo.
Soudain, quelque chose se frotte à ma jambe. Je baisse les yeux. C'est un jeune chat noir aux yeux jaunes. Il se met à miauler. Je le prends dans mes bras et il se tait. Il semble très câlin. Il n'est vraiment pas gros et est très léger. Je le ramène dans la mairie. Quand Léo le voit, son regard s'illumine et il sourit. Puis, sans dire un mot, il fouille dans sa glacière et ressort un une tranche de jambon. A croire que sa glacière est une corne d'abondance. Quand le chaton sent l'odeur, il saute de mes bras et se met à miauler aux pieds de Léo. Celui-ci lui donne le morceau de viande. Le félin mange, il semble très affamé.
Je suis très fatiguée, je me couche dans mon lit et remonte la couette jusqu'à mon menton. Le chaton, après avoir terminé son repas, court vers moi, se glisse sous la couette, et se blottit contre moi. Son corps est chaud, c'est agréable. On s'endort comme ça, l'un contre l'autre.
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NADA
General FictionAlors que la quasi-totalité de l'humanité vient de succomber à la Maladie, quelques jeunes survivants, qui se connaissaient grâce à un forum en ligne, décident de se rejoindre au centre de la France pour survivre et recréer un nouveau monde. Étonnam...