Kazugami
On est déjà le 27 avril. Je ne sais même plus depuis combien de temps je suis parti. Sans doute depuis trop longtemps. J’ai peur de rentrer je l’admets. Tout comme de mon côté, il a dû se passer pas mal de choses à Nassigny. Je culpabilise de ne pas être rentré plus tôt. C’est égoïste d’avoir retenu Clarisse loin de sa sœur si longtemps. J’ai bien vu ces derniers jours qu’elle avait hâte de rentrer, elle aussi. Elle a repris des couleurs et confiance en elle. Elle est chaque jour plus souriante que la veille. Elle est si belle quand elle sourit. Un sourire franc, sans artifice, qui fait chavirer mon cœur à chaque fois. Je ne pensais pas devenir amoureux un jour, pensant que l’amour n’était qu’un sentiment futile, mais je comprends aujourd’hui son importance. C’est si… agréable.
On n’est plus très loin du village maintenant, environ deux kilomètres à vol d'oiseaux. Derrière mon 4x4, trente-sept camions nous suivent. Je ne pensais pas revenir avec autant de gens. En plus des membres du Clan du Sabre, une bonne partie du Clan de la Lune nous a accompagnés, ou plutôt a accompagné Lana qui souhaitait venir avec nous. A notre groupe se sont également ajoutées plusieurs personnes rencontrées en chemin, et notamment des étudiants en médecine, des agriculteurs et presque toute une classe d’un lycée professionnel regroupant différents corps de métiers.
La route était tellement longue. Là où mon véhicule passe sans problème, ce n’est pas forcément le cas pour les camions. On a dû faire un nombre incalculable de détours. C’est dingue de voir qu’en quelques mois la nature a repris ses droits. Ou plutôt comment les infrastructures humaines s'effondrent vite si elles ne sont pas entretenues. Bientôt nos paysages seront les mêmes que ceux des films de post-apo si clichés.
On arrive vers Nassigny en passant par Forges. Bientôt j’aperçois un champ recouvert de gravier, au croisement entre la D2144 et la D541. Une allée a été aménagée pour que des véhicules puissent facilement y accéder. Je m’y engouffre en freinant un peu trop brusquement. Je me gare au plus proche de l’entrée, sans gêner le passage. Les autres véhicules rentrent à leur tour, un à un. Je sors de la voiture, admirant ainsi le ballet des camions sur le parking. J’ouvre le coffre et m’équipe correctement, je dois faire bonne impression, être plus imposant que je ne le suis vraiment. Clarisse me rejoint avec Yumi. Celle-ci semble avoir adopté Clarisse. Tous finissent par me rejoindre, attendant les nouvelles directives. Je monte sur le toit de ma voiture, afin de dominer cette foule.
« Nous voilà enfin à Nassigny ! C’est la fin de notre long périple. Pendant que je vais voir le reste de la communauté, installez-vous rapidement. Il risque de pleuvoir. Je donne donc le commandement à Viktor. Et quand je serai revenu, nous boirons jusqu’à plus soif ! »
Tout le monde s’exclame, enthousiaste à l’idée de s’installer définitivement. Alors que je commence à m’éloigner du groupe avec Clarisse, j’entends Viktor ordonner :
« Les tentes de ce côté ! Les véhicules ici ! Faites en sorte que les camions soient faciles à vider ! Le mirador au centre, les ressources importantes en dessous ! Les toilettes là-bas ! Faites en sorte que…»
On fait le chemin à pied. J’appréhende ce retour. Je suis parti un peu comme un voleur, je dois l’admettre. J’espère les tensions à mon égard ont été apaisées. Mais ce qui me terrifie le plus, c’est de revoir Astrid. Je ne sais pas d’où vient cette réticence à lui parler, mais elle est bien là. C’est comme si Astrid m’intimidait. Comme si elle pouvait lire profondément en moi, plus que moi-même. Une désagréable sensation de vulnérabilité.
Au niveau du pont au-dessus du chemin de fer se trouve une camionnette blanche qui nous barre la route. Deux hommes apparaissent alors sur le toit du véhicule. L’un d’eux possède une batte de baseball. J’ai beau chercher, je ne sais pas qui ils sont. Le type non armé prend la parole, sa voix est bien plus grave que ce que laisse imaginer son physique :
« Halte ! Que faites-vous ici, sur le territoire de la Fédération de Nassigny ?
— Nous rentrons chez nous.
— Jamais vu. Vos noms ?
— Kazugami.
— Et Clarisse. »
L’homme sort un talkie-walkie de derrière son dos. Après quelques mots avec la personne à l’autre bout du fil, il range son appareil.
« Vous êtes attendus au château pour une fouille et une vérification de vos identités. »
Avec Clarisse, nous continuons notre chemin et arrivant devant le portail de la bâtisse où Cédric nous attend.
« Heureux de vous revoir.
— De même. »
Je rentre dans la cour. Ca a bien changé depuis la dernière fois. Il y a un désordre sans nom. De nombreux véhicules, dont certains sont loin d’être entiers, traînent au centre. Sur les côtés, des containers, des caisses et des outils sont entassés pêle-mêle. Plusieurs personnes désossent des voitures, tandis que d’autres soudent des… trucs.
« Où puis-je trouver les membres du Conseil ? je demande à Cédric.
— Ils sont en réunion dans la grande salle du château. En ce moment, l’atmosphère est un peu tendue, je te déconseille d’aller les voir.
— Ca reste mon château. »
Je presse le pas et rentre dans la bâtisse. Devant la grande porte fermée, j’entends des éclats de voix provenant de l’autre côté des battants. Avant d’affronter le Conseil, car je doute que ce soit une épreuve sympathique, je monte dans ma chambre vérifier l’état de celle-ci. A n’en pas douter, mes affaires ont été fouillées. Je serre le poing. Je ferme les yeux et inspire profondément. Quand je les rouvre, je vois Yumi faire sa toilette sur le lit.
« Tu devrais rejoindre ta sœur à présent.
— Même si j’ai hâte de la revoir, je souhaite d’abord t’accompagner devant le Conseil. Pour pas que tu fasses de bêtises » ajoute-t-elle avec un air malicieux.J’ouvre la porte, interrompant la discussion en cours. Sept têtes se tournent vers moi. Léo, Jules, Fabien, Clara, Astrid, Samuel, et Clément sont assis autour de la grande table. Plusieurs documents jonchent celle-ci. Jules se lève.
« Qu’est-ce que tu fais ici, Kazugami ?
— Bonjour Jules. Ravi de voir que tu débordes toujours autant de politesse. Bonjour à tous, même si je ne vous connais pas pour certains. Ton chemisier est magnifique Astrid, il te va à ravir.
— Merci. »
Jules lève les yeux en l’air.
« Pour en revenir à ta question mon cher, rappelle-toi que j’ai élu domicile dans cette magnifique demeure. Il n’est donc absolument pas surprenant de m’y retrouver, puisque je suis ici chez moi. Toutefois, je me doute que ta question ne concernait pas ma demeure, mais mon retour. Je vais donc assouvir ta curiosité. Je me suis promené dans toute la France pour me repentir du crime pseudo-odieux que j’ai commis. Acte qui découle, je le rappelle, de la légitime défense mais ça, tout le monde semble l’oublier. Il se peut qu’en chemin j’ai fait quelques rencontres fortuites, ainsi que des emplettes. Mais ai-je vraiment besoin de tout détailler, alors que vous tous ici présents êtes rentrés dans ma chambre et avez fouillé parmi mes affaires ? Ne faites les gens surpris. C’est tout à fait normal d’installer une caméra chez soi avant de partir en vacances. Même si je me doutais de ce que vous alliez faire, je dois admettre que vous m’avez quand même déçu. »
Je me rapproche de la table. Personne ne bouge. Les émotions de chacun diffèrent ici. Astrid semble culpabiliser, tout comme Samuel et Clara. Clément et Fabien ont peur. Mes pas résonnent dans la pièce. Dans la pièce que j’ai rénovée. Dans mon château. De mes mains et à la sueur de mon front. Mon regard se pose sur les documents qu’ils étaient en train d’étudier.
« Je vois que vous ne vous êtes pas gêné. Vous avez pris mes écrits. Voyons voir : “Ressources stratégiques à rassembler”. Très bon chapitre si vous voulez mon avis, même s’il doit manquer plusieurs idées.
— Tu n’as rien à faire ici, Kazugami. Sors avant que des sanctions soient appliquées. » m’avertit Léo.
« Des sanctions ? Mais c’est vous tous qui en mériteriez ! J’imagine que vous punissez le vol n’est-ce pas ? Vous devriez… »
Clarisse pose sa main sur mon épaule. Le temps s’arrête et je prends conscience soudainement de mon environnement. L’état de colère dans lequel je suis. La terreur que je provoque aux membres du Conseil. Le silence pesant. L’absence de gravité dans ce qu’il s’est passé. A travers ce contact avec Astrid, je crois comprendre ce qu’elle voudrait me dire. Son regard me le confirme. La chaleur de ses doigts me calme. La confiance qu’elle me porte me rassure.
Je prends alors une grande bouffée d’air, comme si j’étais resté sous l’eau trop longtemps. Je n’aurais pas du leur parler de cette façon. J’aurais dû revenir conciliant, agréable et souriant. J’ai tout foiré. C’est comme si, pendant ces quelques secondes de colère, j’avais été un autre.
Je tourne alors les talons et vais ouvrir les grandes fenêtres de la pièce, faisant ainsi rentrer un air frais et pur. Je prends le temps de respirer. Je réorganise mes idées. Je sens les regards dans mon dos. C’est maintenant moi qui aie peur. Je me retourne alors vers eux.
« Repartons de zéro, d’accord ? »Tout le monde dans la salle mange en discutant les burgers préparés par Cédric et Flora. Dès qu’elle m’a aperçu, la gamine m’a sauté dessus, manquant chuter ma chaise et moi par la même occasion. C’est au bout de plusieurs minutes de négociation et de discussion que les tensions se sont apaisées au sein du Conseil. La nourriture et l’insouciance de Flora nous ont même mis de bonne humeur.
« Mais où va-t-on loger tous ces nouveaux arrivants ? demande Samuel.
— Ne t’inquiète pas, on a tout prévu. On a dans nos camions de quoi construire des dortoirs et tout ce qui va avec.
— Les travaux risquent d’être très longs.
— Pas avec deux imprimantes 3D béton. C’est grâce à ces machines qu’on va gagner énormément de temps. D’autant plus qu’on a une main-d’œuvre débordante. En deux semaines, ce sera plié.
— Vraiment ?
— Bon, peut-être trois… »
Puisque le Conseil souhaite rencontrer toute la troupe qui m’a suivi, nous y allons juste après notre repas. Alors que nous franchissons le portail, Cédric et Flora nous rejoignent en courant.
« Tu peux l’emmener avec toi s’il te plaît ?
— C’est à dire que… »
Cédric s’en va en sprintant. J’ai l’impression de m’être fait roulé. Flora me tire la main.
« Porte-moi. »
Ce n’est plus une impression… Étant le chevalier servant de mademoiselle, je l’attrape et la pose sur mes épaules.
« Yumi est moins lourde… »
Flora me frappe sur le sommet du crâne. Ce n’est pas douloureux mais ça reste désagréable. Nous marchons en direction de Forges et je profite du trajet pour faire le point sur ce que j’ai manqué. Les deux informations à retenir, et ce sont bien les seules que j’ai retenues, c’est qu’il y a eu quelques nouveaux qui ont rejoint Nassigny, et que Seb a fait du catch avec un cochon. Je doute sérieusement que Seb devienne un élément important pour notre communauté.
VOUS LISEZ
NADA
General FictionAlors que la quasi-totalité de l'humanité vient de succomber à la Maladie, quelques jeunes survivants, qui se connaissaient grâce à un forum en ligne, décident de se rejoindre au centre de la France pour survivre et recréer un nouveau monde. Étonnam...