Chapitre 6

19 5 89
                                    

Kazugami

Paul part d'un pas nonchalant. Lui et moi, on se comprend très bien sur l'urgence de la situation et certaines priorités. Il faut que je m'en fasse un bon ami. Lui et moi pouvons faire de grandes choses ensemble je le sens.

Astrid se dirige vers moi. Cédric m'a prévenu qu'elle allait me parler. Je m'inquiète de ce qu'elle va me dire. Je ne lui ai même pas dit bonjour. Pourquoi d'ailleurs ? Comment se fait-il que je l'ai ignorée ? Je ne sais pas. Ça m'étonne.

Astrid est une fille étonnante. Il y a un je-ne-sais-quoi dans sa façon de parler, ou plutôt d'écrire, qui m'intrigue, me rend accro. Étonnamment, la seule personne à qui j'avais envie de parler le soir. Que c'était agréable. Un instant de répit, après des journées épuisantes et horribles.

Astrid est maintenant devant moi. Elle a des yeux bleus magnifiques, avec une infinité de nuances de couleurs. Divine.

« Mademoiselle, dis-je en esquissant une révérence, je m'excuse de ne te pas avoir dit bonjour plus tôt. C'est impardonnable de ma part.

— Pas grave. Mais tu n'es pas pardonné pour autant, j'espère que tu te rattraperas.

— Bien entendu. Comment vas-tu ?

— Bah... On fait avec. Le fait de ne plus être toute seule est rassurant, mais ça fait un peu trop de monde "inconnu". J'ai du mal à m'y habituer. Et la situation n'aide pas des masses pour le stress.

— Tu m'étonnes. Ils sont si terribles que ça ? Tu me fais peur là.

— Nan nan ça va, dit-elle en riant, au contraire : ils sont tous très sympas.

— Et comment vous vous organisez ? Quelqu'un dirige le groupe ?

— Non, on fait plus ça à la bonne franquette. Ceci dit, Léo, Eliza et Jules sont ceux qui parlent le plus, et qui prennent le plus d'initiatives.

— Je vois. »

Je suis en partie rassuré : personne n'a pris le pouvoir. Puisque l'Etat n'existe plus, c'est l'occasion de mettre en place de nouvelles règles et un nouveau système. Mais un tyran ne serait profitable pour personne. Avant même de songer à survivre, je songe à quel but je dois survivre. Je ne veux pas recréer le monde, je veux créer un nouveau monde. Le monde qui vient de disparaître était vicié, pollué, inégal. Immonde.

J'ai réfléchi trop longtemps. Astrid m'observe, intriguée.

« Vous viendrez manger avec nous tout à l'heure ?

— Bien entendu. On va essayer de terminer le campement avant midi. Comme ça, on pourra vous aider cet après-midi.

— Super ! À tout à l'heure alors ! »

Astrid se dirige alors vers le portail du château. Soudain elle s'arrête, se retourne puis court vers moi.

« Au fait, j'ai oublié de te demander : comment tu t'appelles, Kazugami ? »

Elle insiste bien sur mon pseudonyme.

« Je m'appelle Kazugami. Je n'ai pas d'autre nom. Le précédent est mort en même temps que le monde. Effacé à jamais.

— Pourquoi ne pas vouloir me le dire ?

— Trop de mauvais souvenirs. Je vais tenter de me reconstruire. De sourire. De rattraper tout ce que j'ai manqué. Être heureux. Être amoureux. En définitive : vivre. Vivre comme je l'entends.

— Je vois. Je ne vais pas insister alors.

— Merci beaucoup.

— Mais je le découvrirai quand même un jour. »

NADAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant