Chapitre 4

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Camille

Je descends du camping-car. Des gens sortent presque en courant de la mairie. Soudain, mon corps se raidit quand j'aperçois Astrid. On s'est disputées avant la Maladie mais je ne lui en veux pas. Non, je m'en veux en fait. J'ai été méchante et je ne me suis pas excusée. Je n'osais pas. Mais j'ai enfin l'occasion de le faire. Je cours vers elle et saute dans ses bras. Elle est surprise, mais m'enlace à son tour. Je pleure et je lui dis entre deux sanglots :

« Pardon Astrid, pardon...

— Ce n'est pas grave, Camille. C'est moi qui suis désolée. Je suis contente que tu sois là.

— Euh... Astrid, nous interrompt un mec d'une vingtaine d'années, tu nous fais les présentations ? »

Je me rends alors compte que tout le monde nous regarde. Je m'écarte brusquement en rougissant, et sèche mes larmes. Astrid fait les présentations et tout le monde me salue. Le prénommé Léo me propose de dormir dans la mairie mais je lui dis que je préfère dormir dans mon camping-car. Finalement, tout le monde rentre dans la salle commune et je me retrouve seule avec Astrid. Je regarde le sol, de peur de croiser son regard. Le silence devient gênant.

« Tu le pensais vraiment, Astrid ?

— Bien sûr, me répond-elle après un léger temps de réflexion.

— Et c'est encore valable aujourd'hui, après tout ce que j'ai dit ?

— Oui » dit-elle en rougissant.

Je m'approche d'elle et l'embrasse. Je ne me rends compte que de la sincérité de mes sentiments à ce moment-là. C'est Astrid que j'aime et personne d'autre. C'est avec elle que je veux reconstruire ce monde. Je l'embrasse longuement. Quand elle m'a avoué ses sentiments, avant la Maladie, je n'ai pas su réagir correctement. En fait, je ne savais même pas quelle réaction avoir. J'étais persuadée d'aimer les garçons. Et pour moi Astrid était ma meilleure amie, mais ça n'allait pas au-delà. Je ne sais même plus vraiment pourquoi, je me suis emportée et je lui ai dit de la merde. Mais très vite, j'ai regretté. Mais comment pouvais-je revenir vers elle après ce que je lui avais dit. C'est alors que le monde s'est effondré. Quand j'ai vu le point de rendez-vous sur le forum, j'ai su que c'était l'occasion de tout réparer. J'aime Astrid.

On se sépare alors, haletantes. Elle a un sourire qui lui monte jusqu'aux oreilles, et j'imagine bien que je dois avoir le même. Un regard me suffit pour comprendre que je suis pardonnée. Astrid me prend la main et m'entraîne dans la salle commune en courant. Je manque de m'écraser au sol quand je trébuche sur le pas de la porte.

Il y a une sorte de frénésie, d'excitation, dans les conversations qui animent la salle. Tout le monde est heureux de se retrouver, de retrouver les amis du forum, de retrouver des gens vivants. Et moi aussi je suis heureuse. Paul et Clarisse disputent une partie d'échecs, tandis que tous les autres regardent et débattent. Avec Astrid, on rejoint le groupe. On tire des plans sur la comète, sur le monde qu'on veut fonder. Léo veut une démocratie. Eliza veut qu'on rassemble tout le savoir. Romane veut le retour d'internet. On parle de refonder une société, avec de nouvelles règles. De recréer un pays.

Je trouve qu'ils vont trop loin. Il faudrait d'abord penser à l'immédiat. Survivre quoi. Produire de la nourriture, avoir de l'électricité et de l'eau potable. Nos chances de survie me paraissent minces. Mais j'ai surtout cette sensation désagréable que tout cela n'est qu'une étape, et que tout va revenir à la normale très vite. Mais je sais très bien que c'est faux.

On continue de parler jusque tard dans la nuit, suivant d'un œil les victoires de Paul. Soudain, les lumières s'éteignent. Instinctivement, j'éclaire la pièce avec la paume de mes mains. Je vois alors que tous me regardent, stupéfaits.

« Ouah Camille, tu es une Seconde Vie ? me demande Seb.

— Euh.. Oui, je réponds, un peu gênée.

— Camille, viens avec moi » m'ordonne Paul.

Je le suis, un peu étonnée, en éclairant ses pas. On sort du bâtiment et Paul prend un jerrican posé à côté du groupe électrogène. Il remplit celui-ci avec l'essence du jerrican et la machine se remet en marche dans un grondement. Des exclamations nous parviennent. On se dépêche de rentrer, le froid nous glaçant les os. À peine la porte s'est-elle refermée que je suis assaillie de questions :

« Depuis quand ?

— Comment fais-tu ça ?

— C'est douloureux ?

— Tu peux faire plus lumineux ? »

Je ne sais plus où donner de la tête. Finalement, les questions s'arrêtent et je respire un bon coup. Jules repose alors une question :

« Si tu es une Seconde Vie, c'est que tu as déjà failli...

— Mourir ? Oui.

— Et comment ?

— C'est... compliqué. Je vous l'ai sans doute déjà dit sur le forum : j'ai été placée dans une famille il y a maintenant un peu plus d'un an et demi. Si j'ai été placée, c'est parce que j'ai eu quelques problèmes.

« Un jour, j'ai décidé de prendre mon courage à deux mains. J'ai annoncé à mes parents que je ne me sentais pas complètement masculin, et que j'aimais les garçons. Je savais qu'ils prendraient mal la nouvelle, mais mon père a carrément pété un câble. Il m'a engueulé et giflé à plusieurs reprises. Il m'a dit de prendre mes affaires et de partir de sa maison. Que je n'étais plus son fils. Pendant que je me dépêchais de mettre des vêtements dans un sac, il est rentré dans ma chambre avec une batte de baseball. Et il m'a frappé, frappé, longtemps. J'ai perdu connaissance au bout d'une vingtaine de coups. Ma mère a apparemment assisté à toute la scène sans agir.

« Je me suis réveillée dans une chambre d'hôpital, sans pouvoir bouger. J'avais mal. Il m'a fallu plusieurs minutes pour me rappeler ce qui s'était passé. Si j'ai survécu, c'est parce que mon voisin a aperçu mon père qui mettait mon corps supposé mort dans son coffre. Le voisin a alors appelé la police qui est arrivée à temps.

« Plusieurs côtes cassées, une commotion cérébrale,... Je suis restée plusieurs semaines à l'hôpital. Puis j'ai été placée dans une famille d'accueil. Mes parents ont été jugés et emprisonnés. Il paraît que peu de temps après, ma mère a été internée dans un hôpital psychiatrique. Mais je n'ai pas essayé d'en savoir plus.

« Un soir, à l'hôpital, sans le vouloir, mes paumes se sont éclairées. J'ai eu un peu peur, j'ai cru avoir des hallucinations. Le médecin m'a rassuré en m'expliquant que j'étais devenue une Seconde Vie, une miraculée qui aurait obtenu une sorte de superpouvoir. On a connu mieux comme pouvoir. C'est un phénomène méga rare, inexpliqué par les scientifiques. Depuis le début du XXIème siècle, le taux d'apparition à un peu plus augmenté, mais ça reste tout de même très rare. J'en ai jamais parlé à personne, mis à part mon médecin et Astrid. Je n'ai pas trop envie que tout le monde me trouve bizarre. »

Je m'arrête, à bout de souffle. J'ai la gorge sèche. Tout le monde autour de moi reste silencieux. Mon histoire a clairement refroidi l'ambiance. Léo propose d'aller se coucher, la journée de demain s'annonçant chargée. Je prends ma doudoune que j'enfile avant de sortir rejoindre mon camping-car. Je prends une douche rapide dans la salle de bains minuscule, avant de mettre un pyjama et de me glisser sous la couette. Les draps sont froids, mais mon corps les réchauffe rapidement.

J'ai peur. Je n'ai pas osé les regarder dans les yeux après leur avoir tout raconté. Je ne veux pas être une abomination. Je ne veux pas que mes mains fassent de la lumière. L'époque où je vivais avec mes parents, mes vrais parents, me manque. Je pleure. Je perds la notion du temps, le cerveau engourdi par la tristesse et le sommeil. Alors que je suis à moitié endormie, je sens que quelqu'un rentre dans le camping-car. Les yeux mi-clos, j'aperçois Astrid. Elle vient se blottir contre moi et je m'endors quasi instantanément. 

NADAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant