La damoiselle s'appelait Justine, elle me l'apprit le lendemain, quand on quitta la maison à l'aube, non sans avoir au passage dérobé quelques croissants.
Elle rentrait en fac d'économie quand moi je prenais un chemin plus lettré, et notre relation perdura également.
L'alchimie que nous avions ressenti ce soir-là nous avait convaincu qu'il y avait quelque chose de spécial entre nous qui méritait d'être approfondi.
Alors on mit au point une sorte d'arrangement tacite. Le jour, chacun vivait sa vie, se mêlait aux autres et poursuivait assidûment ses études. Puis certains soirs on se retrouvait dans l'appartement de l'un ou de l'autre et on se laissait aller à nos plus bas instincts.
C'est Justine qui m'apprit à affiner mes exigences, mes envies, mes désirs. Avec elle je pouvais me laisser aller et nous avancions ensemble sur le chemin du vice, une étape après l'autre. La damoiselle aussi était à la recherche de sa sexualité et nous mettions en pratique toutes nos idées les plus folles jusqu'à parvenir à déterminer ce qui nous excitait particulièrement chacun.
Je compris avec le temps que je pouvais retrouver ce sentiment de domination et de contrôle en maîtrisant le plaisir de l'autre, jusqu'à la rendre esclave de ses envies, prête à ramper à mes pieds pour que je lui octroie ce qu'elle désirait plus que tout.
Justine se pliait de bonne grâce à ce jeu de rôle, trouvant dans cette position un exutoire au stress que générait le quotidien. Elle me permettait de la dominer et je partais à la découverte de son corps avec un plaisir redoublé. Peu à peu je l'apprivoisais, je le faisais mien, apprenant ses courbes, ses zones sensibles et l'effet que chaque caresse pouvait avoir sur elle. La damoiselle était bon professeur et me guidait en sachant pertinemment qu'à la fin, c'est elle qui en profiterait le plus.
Son appartement était devenu l'antre de notre luxure, où dès la porte passée nous pouvions nous laisser aller loin du regard des autres, sans prétention ou faux-semblants.
J'appris à ses côtés tout le plaisir que pouvaient générer quelques mots au bon moment, l'art de l'humiliation, de la stimulation psychologique. Justine me fit également découvrir le joyeux monde des sextoys et accessoires et se dévoua avidement comme cobaye de mes expérimentations.
Au fil des années, on acquit une relation unique et secrète dans laquelle on pouvait s'épanouir pleinement tout en menant notre vie habituelle à côté.
Mes études se poursuivirent, après la licence, j'optai pour un Master de recherche en littérature et m'attaquai à la lourde tâche de rédiger un mémoire de cent cinquante pages en trois ans. Ce qui nous amène à aujourd'hui, alors qu'assis à la table de mon café préféré, je fixe l'écran de mon ordinateur, espérant y découvrir l'inspiration subite, sans grand succès.
J'apprécie particulièrement ce coin pour travailler, depuis mon siège j'ai une vue dégagée sur tous les étudiants qui se pressent devant les vitrines de cookies et le bruit ambiant du campus ne vient pas gêner ma concentration. J'aime observer les allez-retours des autres, essayer de deviner leurs pensées en me basant sur leur gestuelle ou leur expression. Ce me permet de quitter un instant le marasme obsédant de ma réflexion pour détendre mon esprit alors que mes yeux glissent sur les courbes aguichantes des jeunes damoiselles pressées.
Appelons ça mon côté voyeur — ou esthète, comme j'aime le dire avec une certaine pédanterie — mais j'apprécie particulièrement les belles choses. Qu'il s'agisse d'œuvres d'art ou de personnes.
Les serveuses vont et viennent pour parer à l'afflux soudain de clients et j'observe leur joli tablier vert moulant qui volète au gré de leurs mouvements. Je fais signe à l'une d'entre elle quand elle passe à côté et, d'un air entendu, elle me sourit et me rapporte un café. J'ai mes habitudes ici et à force de venir y travailler et d'occuper le même siège, j'ai obtenu le privilège de ne plus avoir à formuler mes besoins pour qu'elles y parent.
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On l'appelle Mephisto
RomansaEn chacun de nous sommeillent des désirs que l'on fait taire, par peur de ce qu'ils pourraient dire de nous. Des désirs qui nous font frémir mais que l'on n'ose pas assumer, des envies qui nous dévorent et que l'on se résigne à enfouir pour toute un...