Seo Na-Kyung

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Colosse aux pieds d'argile


Céleste avait déboulé dans le quartier, il y a plusieurs années de cela, comme un agréable vent léger lors d'une journée d'été étouffante.

Avec ses longs cheveux blonds enfouis sous une casquette de marin, ses yeux bleu indigo, son mètre soixante-dix-huit tout en jolies formes, elle avait fait effraction dans la vie de Na-Kyung en moins d'une demi-heure.

Passant ses doigts nerveusement sur la tache de naissance rose au creux de sa nuque, elle avait créé un embouteillage à l'entrée du Bibim House. La grand-mère du jeune homme avait eu beau répéter que le logement était déjà loué, qu'elle en était navrée, la jeune fille avait insisté. Elle avait usé de son charme mais aussi de son côté un peu intimidant pour une personne de tout juste vingt ans. De guerre lasse, l'aïeule, qui avait aussi le sens des affaires, avait alors proposé une chambre dans l'appartement de son propre petit-fils qui n'en avait pas cru ses oreilles.

Céleste avait également soutiré un beau chèque à son père absent. Ce dernier avait refait sa vie dans le Colorado et avait toujours cru que son argent compenserait son manque de présence. La jeune femme n'avait plus de scrupules depuis longtemps et en profitait à présent. Elle s'était fait offrir sa scolarité à l'Ecole Nationale des Chartes, son logement, ses dépenses quotidiennes et tout ce qu'elle osait demander.

C'est ainsi qu'elle avait passé le seuil de l'appartement de Na-Kyung, un samedi d'août, pimpante et heureuse de vivre dans ce quartier qu'elle aimait déjà. Au 11 bis, rue Saint Anne. Même cette adresse, elle l'adorait ! Au cinquième étage, à l'angle de plusieurs rues, la vue était dégagée et le soleil pénétrait à toute heure de la journée dans ce trois pièces qui sentait la peinture fraiche et le parquet ciré.

Lui, n'avait pas pris son emménagement avec bonne grâce. Il était chez lui. Il avait acheté cet endroit à prix d'or grâce à ses grands-parents, certes, mais il n'avait pas envisagé de le partager avec qui que ce soit. Mais, dans sa famille, on ne dit pas non à ses aînés. Et puis, sa grand-mère lui avait bien fait comprendre que « les affaires sont les affaires » et qu'il n'allait pas cracher sur un revenu mensuel non négligeable.

Elle avait posé sa valise à ses pieds avant de se jeter dans ses bras pour lui faire la bise. Comme ça, sans façon !

—     Céleste. Moi, c'est Céleste. Et toi ?

—     Ton propriétaire. Avait-il répondu tout raide, les oreilles rougissimes.

Il était là depuis un an exactement. Il avait obtenu de son père l'autorisation de quitter Séoul pour rejoindre ses grands-parents à Paris et étudier à l'école du Louvre. Il rêvait de devenir restaurateur d'œuvres d'art.

Très bon élève de la K-Arts, ambitieux, et fils obéissant, ses parents n'avaient pas longtemps résisté à son désir de pouvoir bénéficier du programme d'échange qu'il visait.

Na-Kyung avait été élevé pour réussir et faire la fierté de sa famille. En tant qu'aîné, il avait encaissé sans broncher les cours privés, les leçons de piano et les stages de langues en Australie. Sa première rébellion avait été de ne pas se plier au désir de ses parents de le voir devenir médecin ou ingénieur. Mais excellant, dès le premier semestre, dans ses études, ils avaient vite échangé leurs reproches et menaces contre des exigences supplémentaires. Il fallait que son père puisse se vanter des exploits de son très cher fils. De toute façon, on n'en attendait pas moins d'un enfant de directeur commercial d'une multinationale en pleine expansion.

En arrivant dans la capitale française, le jeune homme avait découvert avec bonheur une vie soulagée du regard et des exigences parentales. Sa grand-mère était peut-être un peu intrusive et s'invitait trop souvent à son goût, mais ce n'était rien en comparaison de la chappe de plomb qui pesait sur lui à Séoul.

Six mois qu'il vivait enfin seul, après de longs mois à dormir dans une chambrette chez sa grand-mère. Et, elle, jolie tornade blonde, elle s'était imposée. Comment allait-il cohabiter avec une fille ? Avec une comme celle-ci ?

Il plaisait aux filles.

Déjà au collège, il ne savait pas dire non aux déclarations faites sur ses petits papiers ornés de cœurs et de fleurettes. Cela ne durait jamais vraiment longtemps car il ne comprenait rien à ce type de relation et se pliait de mauvaise grâce aux codes amoureux. Plus tard, au lycée, c'est sa morale qui l'avait retenu ou empêché. Il s'était senti comme un bouillon géant d'hormones dépourvu de sentiments et avaient eu d'énormes scrupules à sortir avec des filles. Ses amis se moquaient allègrement de lui. « Le beau gosse éternellement puceau » était la boutade qu'il recevait le plus. A l'université, il s'était essayé à une « vraie » relation qui avait fini pitoyablement quand la pauvre jeune fille avait dû admettre qu'aucun cœur ne semblait battre dans la poitrine de celui qu'elle adorait. Enfin, ici, à Paris, il avait tenté un temps de profiter de sa vie de jeune homme. Il avait fait des ravages mais personne ne l'avait vraiment ému.

Être amoureux, pourtant, il connaissait. Il avait rêvé, attendu sous la pluie, écrit des lettres, pleuré toute sa dernière année d'école élémentaire. La petite n'en avait jamais rien su.

Et cette Céleste lui rappelait cette gamine qui avait eu le pouvoir de le fragiliser mais aussi de le faire sentir plus vivant que jamais. Il allait falloir dresser des barrières fermes entre eux rapidement.

Elle, elle avait dévisagé avec plaisir ce jeune homme à peine plus âgé, plus grand qu'elle d'une bonne dizaine de centimètres. Ses cheveux longs ébène ramenés en queue de cheval, ses yeux en amande, sa peau dorée, ses taches de rousseur, le grain de beauté au-dessus de sa lèvre, ses épaules de nageur sur un corps fin... tout en lui, lui plaisait !

—     Bonjour, « mon propriétaire » avait-elle ri, les deux mains enfoncées dans sa salopette en jean qui lui donnait un air vraiment très mignon. Quelle est ma chambre ?

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant