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—     Cesse de faire les cents pas, tu sais qu'il vomit facilement ?

Jin s'arrêta un instant pour observer le petit visage qui n'exprimait que le contentement. Des yeux mi-clos, une petite lèvre inférieure retroussée, un petit filet de bave sur un menton minuscule, des joues rebondies, roses et luisantes. C'était une vue apaisante. Il tapota de sa main gauche le dos du lilliputien vêtu uniquement d'un body constellé d'énormes cœurs rouges, avant de reprendre sa ronde infernale.

Un rot tonitruant surgit du nourrisson immédiatement suivi d'une odeur aigre. Jin se stoppa net. Son épaule était trempée et collante.

—     Je te l'avais dit... soupira Joo. Il ne retient aucun de ses biberons entièrement. C'est pareil avec mon lait...

Elle s'approcha pour prendre le bébé qui commençait à pleurer des bras de Jin. Ce dernier renifla son épaule d'un air de dégoût avant de reprendre sa mine préoccupée.

—     Il est peut-être comme moi... pensa le jeune homme à haute voix.

—     Tu veux dire adorable et tout beau ? le taquina Joo en berçant le tout petit qui se calmait dans ses bras en berceau.

—     Mais non ! se défendit-il. Enfin si, il est ce que j'ai vu de plus beau ! poursuivit Jin en caressant les petits pieds potelés du bout des doigts. Ce que je voulais dire, c'est que ma mère m'a toujours dit que je vomissais après toutes les tétées. J'avais fini par être nourri au lait de riz... Hier, le pédiatre s'inquiétait un peu de ses diarrhées et qu'il ne prenne pas de poids.

—     Tu penses qu'il est intolérant au lactose ? On devrait y retourner, non ?

—     J'en suis quasiment certain. J'appelle tout de suite. Il n'a qu'un mois. Faut pas rigoler avec ça... s'emporta Jin déjà le téléphone collé à l'oreille. J'espère qu'il n'héritera pas de mes autres allergies, et encore moins de mes mains ! marmonna-t-il.

Joo lui sourit tendrement. Elle se disait qu'elle avait trouvé la perle rare. Avec lui, rien n'était vraiment inquiétant. « Un pas après l'autre », « Chaque problème a sa solution », il avait une phrase apaisante pour tout. Il était son roc. Et pourtant, là, il était dévoré d'appréhensions. C'était aussi l'homme le plus sensible qu'elle n'avait jamais rencontré.

Le téléphone raccroché, elle lui posa enfin la question qui la dévorait.

—     Maintenant, raconte-moi ce qui te tourmentait tant.

Il se figea un instant avant de parvenir à reprendre le fil de ses pensées.

—     Haaaa... ça... je crois que Nam perd pied...

—     Que veux-tu dire ?

—     Je t'ai raconté son flip total lors de notre retour. Il m'inquiète, vraiment... Et si l'armée l'avait déglingué ? Il refuse toujours de m'en parler vraiment, tu sais...

—     Je ne pense pas. rassura la jeune femme. C'est juste quelqu'un qui met du temps à digérer les choses. Et, puis, tu ne penses pas qu'il se surmène ? Il a sans doute cru que sa corbeille était vide... ou bien, il recommence ses crises de somnambulisme... ou bien les deux...

Devant la mine déconfite de son mari, elle souffla gentiment.

—     Tu ne vas jamais pouvoir dormir. Ça fait quatre jours que tu rumines. Va le voir !

Voilà ce qu'il aimait aussi chez Joo : elle était rationnelle et aimante. Attentionnée, mais pas seulement à son égard. Elle était l'empathie incarnée ! Si seulement elle avait aimé cuisiner et n'avait pas eu ce goût immodéré pour l'ail, elle aurait été parfaite, se disait-il.

Jin, en passant le seuil de l'appartement, fut un court instant rassuré. Namjoon n'était plus dans l'état d'agitation extrême dans lequel il l'avait vu, les pièces étaient en ordre, et Mme Rhee chantonnait en repassant dans l'arrière-cuisine.

Son soulagement fut de courte durée. Il lui avait servi un café tout juste moulu, les mâchoires serrées, les yeux gris et les mains tremblantes. Il n'avait visiblement pas dormi depuis des lustres. Jin en était certain ! Namjoon tenta de donner tout de même le change.

—     Comment vont Do-yun et Joo ?

Jin allait se lancer avec emphase, déjà prêt à raconter dans les détails les mésaventures de son chérubin, quand il se rappela pourquoi il était ici. Il avait totalement conscience que son ami chercher à détourner la conversation car, lui aussi, n'ignorait pas la raison de la présence de son camarade. Alors, dans un grognement, il lui répondit :

—     T'as failli m'avoir ! Je viens prendre de TES nouvelles. J'étais inquiet.

Il eut, d'abord, pour toute réponse un Namjoon qui sirotait son café le regard perdu dans les volutes douces amères de sa boisson favorite.

—     Je ne sais pas trop si j'ai envie de t'en parler... mais...

Il posa brusquement sa tasse sur le bois patiné de sa table à manger pour se lever en faisant racler la chaise au sol dans un bruit désagréable. Jin grimaça en regardant Namjoon marcher d'un pas décidé vers son coin lecture baigné par la lumière du soleil couchant. Il se dit que décidément il faisait partie des âmes que rien n'épargnait. Il revint d'un pas hésitant et lui tendit un papier chiffonné à bout de bras, les doigts frémissant de nervosité.

—     Qu'est-ce que c'est ? interrogea Jin.

—     Lis... je t'expliquerai après, balbutia le jeune homme avant de se rasseoir et d'observer son aîné d'un air tourmenté.

Jin baissa les yeux sur le petit billet où courait une écriture qu'il ne connaissait pas sous celle de son ami et qui lui rappelait celle qu'il avait vue mardi soir. Son cœur se mit à battre plus vite d'appréhension, anticipant d'avance les explications irréalistes que Namjoon lui donnerait.


« Who are you ? What do you want ?

I'm your friend, asshole ! But I'm broken. I'm a monster. »


—     Je sais que tu ne vas pas me croire. Je n'y crois pas moi-même. Mais si tu...

—     Raconte ! fit Jin sans ambage.

Ainsi, Namjoon, accroché à son mug comme à une bouée de détresse raconta comment, de rage, il avait balancé ce papier dans la corbeille vide, et comment il l'avait retrouvé à la même place, seul, le lendemain matin. Il avait d'abord été parfaitement rassuré. Il avait cru un bref instant que tout ça n'avait été qu'un mauvais rêve ou une très mauvaise blague. Mais qu'il n'avait pas pu s'empêcher de déplier la feuille qui le narguait chaque fois qu'il passait devant. Et là, son esprit avait cessé de fonctionner. Il avait eu peur.

Jin eut soudainement une idée comme il en a parfois. Une idée simple et rationnelle.

—     Débarrasse-toi de la corbeille !

—     Je ne peux pas... C'est un cadeau auquel je tiens.

—     Bien, si tu penses que quelqu'un s'introduit chez toi pour te jouer de mauvais tours, emmène-la au bureau... Tu seras fixé ! murmura-t-il en jetant quelques regards méfiants vers la vieille dame qui repassait à quelques pas de là en chantonnant et les couvant du regard.

—     Bonne idée ! Faisons ça ! s'illumina le jeune homme.

—     Quoi ? Maintenant ! chouina Jin. Mais je ne veux pas aller au travail ce soir !

Il ne fallut pas longtemps à Namjoon pour faire céder son ami. De le voir, ainsi allégé d'un poids, il le suivit finalement sans aucune mauvaise grâce. Les choses s'arrangeaient. Tout allait aller de mieux en mieux. Il en était convaincu.

Mais pas de la manière qui avait fonctionné pour lui. Namjoon n'était pas le Candide de Voltaire.

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant