Dorothy et l'homme de fer blanc

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Livres, vêtements, valise, trousse et produits de toilette, passeport et papiers étaient répandus à même le sol de la chambre. Assise sur son tapis, au milieu de ce fatras inimaginable, Céleste venait de jeter furieusement une feuille à petits carreaux dans sa corbeille vide lorsque la grand-mère entra sans frapper.

Toute colère s'enfuit au triple galop du corps de la jeune femme à la vue de celle-ci. Elle se sentit petite, petite, et eut envie de pleurer, d'être câlinée et consolée.

— Halmeoni... geint-elle les yeux luisants.

— Il a l'habitude que tu lui mènes la vie dure ! Il s'en remettra. Moi non. Lève-toi gamine et finis ta valise. Tu ne me feras pas manquer cet avion !

— Mais...

Alors que l'aïeule allait passer la porte sans plus de cérémonie, elle se retourna et regarda celle qui, pour elle, n'était encore qu'une gamine.

Dès le premier jour, la première minute, elle avait voulu l'aider. Elle avait su que c'était elle. A son tour, elle devait rendre le coup de pouce qu'elle avait reçu au même âge. Cette fille, c'était un don du ciel. Elle avait donné vie à son robot de petit-fils, elle lui offrait la joie d'avoir une petite-fille, elle insufflait la vie partout où elle passait. Mais quel être écorché !

Elle fit demi-tour et caressa le sommet de la tête blonde.

— Je ne t'abandonnerai pas. Je suis là.

Puis elle repartit en trombe faisant claquer la porte derrière elle et sursauter Céleste ébahie. A quatre pattes pour rassembler ses affaires, dans son pantalon de jogging gris informe porté avec un petit top de soie rose à fine bretelles, elle offrait un tableau désopilant. Ce mélange de laisser-aller et de féminité, d'anarchie et de détermination, de bouillonnement et de fragilités laissait tout le monde démuni.

Tout le monde sauf Na-Kyung et sa grand-mère.

Ils la comprenaient. Ils la devinaient même quand elle se faisait tornade. Ils l'aimaient ainsi.

— Et toi, tu es prêt, au moins ? fit la vieille dame en s'asseyant du bout des fesses sur le canapé près du jeune homme dont les épaules tombaient sous le poids de la déception et du chagrin.

— Mes affaires le sont.

— Tu le savais, non, qu'elle ne te voyait pas comme cela ?

Il leva vers sa grand-mère des yeux interrogateurs.

— Comment fais-tu pour toujours aussi bien deviner les gens ?

— Je les écoute, je les regarde... répondit-elle avec une voix qu'elle voulait empreinte de mystère. Puis pouffant de sa voix légèrement chevrotante, elle ajouta :

— On lit en vous deux comme dans un livre ouvert ! Depuis qu'elle vit ici, je ne regarde plus de feuilletons. Chaque jour, son nouveau rebondissement. Alors, c'était quoi cette fois ? Vous avez fini par craquer ? T'as sorti le petit oiseau ?

Na-Kyung bondit du canapé, rouge pivoine.

— Halmeoni !!!

— J'ai rien dit... quoique j'aimerais bien savoir... pouffait la petite dame en se dirigeant vers la cuisine pour vérifier que le réfrigérateur avait été bien vidé et nettoyé comme elle l'avait exigé la veille.

— C'est pas ce que tu crois... marmonna le jeune homme qui fixait à présent la porte de Céleste se demandant si elle allait en sortir avant que le taxi n'arrive.

La tête dans le frigo, la petite dame s'égosilla :

— Tu ne vas pas la bouder éternellement, si ? C'est ta Dorothy !

— Hein ?

Na-Kyung se retourna vers sa grand-mère qui après avoir inspecté le moindre recoin était satisfaite de l'état impeccable des pièces de l'appartement, si elle faisait abstraction de l'antre qui servait de chambre à Céleste.

— Avant, tu étais comme l'homme de fer-blanc du Magicien d'Oz. Elle t'a aidé à retrouver ton cœur. Mais tu confonds peut-être la reconnaissance et le fait d'être amoureux...

— Halmeoni... je n'ai pas oublié d'être stupide... je ne confonds pas...

— Mais es-tu reconnaissant ? insista-t-elle en se plantant sous le menton de son petit-fils et lui tapotant la poitrine.

— Oui, je crois, admit ce dernier du bout des lèvres.

— Alors, tu vas passer cette porte et le lui dire. C'est à ton tour de l'aider !

C'est ce qu'il fit. Non seulement parce qu'il avait été éduqué pour obéir à ses aînés mais aussi parce que, même s'il aurait aimé la faire souffrir encore un peu, il ne lui voulait pas de mal.

Il toqua timidement à la porte avant de se faufiler. En jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, il vit sa grand-mère lui faire signe d'entrer, et vite !

Elle était là, à genoux, sa valise quasiment bouclée. Un sweat et une plaquette trainaient encore sur son lit, mais la chambre était presque rangée. C'était vraiment étrange de redécouvrir la pièce ainsi. Elle leva vers lui ses yeux couleur de ciel et il sut qu'il ne pouvait plus la bouder. Il se baissa pour l'aider à fermer son bagage et souffla :

— Je suis désolée, Céleste. J'ai merdé.

Elle réprima un geste d'élan vers lui. C'était inhabituel également. Elle attendait plus. Une autorisation sans doute. Alors, il lui tendit les bras. D'un bond de lapereau, elle s'y engouffra, fourrant son visage contre son torse.

— Naki...

— Il va me falloir du temps, Céleste. Mais je ne te boude plus, promis. En échange...

— En échange ? interrogea-t-elle en s'accrochant à ses épaules.

— En échange, ne rentre plus dans ma chambre sans frapper,... et... mettons un peu de distance entre nous...

Elle se retint de protester. Elle avait cru le perdre définitivement. Il lui offrait un compromis acceptable.

— Je vais essayer, mon propriétaire ! bondit-elle sur ses deux pieds nus à l'exact moment où l'interphone retentit.

— TAXI, les gamins ! clama leur grand-mère au plus haut de sa forme.

Avant de refermer sa porte derrière elle, Céleste se sentit heureuse et fière. Heureuse d'être entourée de personnes aimantes et compréhensives. Fière d'avoir rangé sa chambre.

Même sa corbeille était vide !

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant