Collision

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"Bientôt, je ne la verrais plus ; [...] Et qu'avais-je obtenu ? Je n'avais fait que rêver. Je m'étais laissé bercer dans un songe agréable au lieu de chercher à la conquérir, au lieu de lutter pour la gagner, au lieu de m'efforcer de l'attirer à moi à tout jamais."

Herman Hesse, Demian


*


Cette nuit-là, ils dormirent peu malgré les kilomètres et les dénivelés que leurs jambes avaient avalés.

Ils avaient été accueillis, juste avant une averse, par Eric et Corinne. Ce couple de cinquantenaires possédait le Château de la Cambière et en avait fait un gîte d'étape chaleureux.

Encore une fois, on avait pris Céleste et Namjoon pour un couple de jeunes mariés. Ils n'avaient pas pris la peine de rectifier. Ils s'en moquaient, à présent. Ou plutôt, ils voulaient faire croire à l'autre que cela ne provoquait plus rien en eux. Ce qui était tout à fait à l'opposé de ce qu'ils ressentaient vraiment. La répétition avait fait son œuvre. L'un comme l'autre ne pouvait retenir les « Et si... », « C'est vrai que... » ou les « J'aimerais tant que... » qui fusaient dans leur esprit. Mais leur accord tacite était tout autre :

Trois semaines de folie heureuse puis retour à la vie ordinaire.

Eric les avait menés au pas de course, sous des trombes d'eau, à une annexe transformée en chambre. Il vérifia rapidement que le chauffage était bien en route ; il faisait encore frais en cette mi-mai au milieu des Cévennes, et les grosses pierres de taille n'aidaient en rien (elles retenaient le froid et l'humidité dans les pièces du gîte). Toutefois, le couple fut ravi et le montra. Le propriétaire les laissa s'installer avant de rappeler l'heure du dîner à Céleste.

Les odeurs de cire, de draps propres et de pierres emplissaient la chambre. Après avoir balancé leurs chaussures de randonnée et leurs énormes sacs à dos dans l'entrée, ils se laissèrent choir sur le grand lit dont les ressorts couinèrent bruyamment. Namjoon pouffa.

— Don't even think about it! rit Céleste en montrant du doigt le mur au-dessus de leur tête puis le volet resté fermé.

Un crucifix les admirait depuis le mur où il était cloué, et le volet de chêne épais était ajouré d'une énorme croix.

— I thought you were not a believer, dit Namjoon d'un air dubitatif en se tournant vers elle.

— I know... but it's like the idea of having my mother in the next room; it turns me off!

Namjoon l'avait déjà enlacée et s'attelait à la défaire de cette polaire affreuse qu'elle avait absolument voulu acheter parce qu'elle « mourait de froid ».

— I mean it! déclara Céleste en bondissant sur ses genoux, Namjoon se prenant les petites ailes de son pendentif dans l'œil par la même occasion.

— Oh! Sorry, sorry! Does it hurt? Let me see...

Elle avait de nouveau plongé sur lui et couvrait son visage de cheveux blonds et de baisers. Il était aux anges.

Plus tard, cette nuit-là donc, Namjoon se dit que s'il y avait du bruit au paradis, il devait sérieusement ressembler aux soupirs de Céleste et aux grincements infernaux de ce lit inoubliable.

Aucun des deux ne souhaita évoquer le voyage pour Paris le mardi qui venait. Ils devaient récupérer leurs valises laissées dans un hôtel d'Arles, avant de prendre l'avion depuis Montpellier direction Paris. De là, Namjoon s'envolerait pour le Pays du Matin Calme et Céleste rejoindrait la rue Sainte Anne, sa librairie, ses petits vieux et, et ... Les dernières quarante-huit heures arriveraient assez vite ! Inutile de s'embarrasser de ses pensées grises !


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