Who runs the world? Girls.

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—     C'est donc ta protégée ? 

—     C'est elle. 

—     Et tu lui as donné la corbeille ?

—     Oui.

—     J'ignore si tu as bien choisi.

—     Je me disais la même chose à ton sujet.


Les deux vieilles dames se regardèrent d'un air concerné chuchotant au-dessus de leurs assiettes.

Les invités les admiraient, émus, trouvant certainement le spectacle de ces deux sœurs, se revoyant enfin, vraiment touchant.

Ici, personne n'ignorait ce qu'elles avaient traversé. Si la guerre avait été cruelle, l'après ne les avait pas épargnées. Séparées parce qu'orphelines, elles avaient connu toutes les affres de la solitude et de la pauvreté.

Ce qu'aucune personne ne soupçonnait, en revanche, c'est leur bouée de sauvetage : deux simples corbeilles offertes par une vieille dame du marché lors d'une de leurs rares retrouvailles.

 Adultes, avec un destin plus doux qu'elles n'auraient jamais osé espérer jeunes filles, elles s'étaient promis de transmettre cet étrange don à des jeunes gens perdus comme elles avaient pu l'être. La vie pouvait être dure et cruelle mais cela ne durait pas ou pouvait être surmonté à deux.


—     Eonni, ces deux-là, ils pourraient se faire plus de mal que de bien... j'ignorais que tu l'avais offerte à ton petit-fils.

—     Et toi, tu as choisi un petit chat écorché qui vit à l'autre bout du monde !

—     Ils n'étaient pas censés se rencontrer. Et, je viens de te le dire, je ne savais pas que tu donnerais cette aide au petit.

—     Mais pourquoi l'avoir emmenée avec vous, à une réunion de famille ?

La plus jeune des sœurs soupira, d'un air fautif.

—     Ne me dis pas que tu voulais jouer la marieuse ! C'est pour cela que tu as présenté la petite à ton fils et sa femme ?

—     Il y a eu une anicroche avant le départ, mais je pense toujours que ce ne serait pas une si mauvaise idée.

—     On ne procède plus ainsi avec les jeunes. Tu as beau être la plus maline de nous deux, je crois que tu fais fausse route.  Tu ne peux pas vouloir l'aider et lui préparer un avenir à son insu.

—     Ce n'est pas..

—     Où sont-ils passés ? coupa l'aînée. Elle balaya du regard les tables éparpillées de la salle de banquet.  Nos petits protégés nous ont faussé compagnie.


D'un geste du doigt, accoudé sur le comptoir, Namjoon appela la barmaid afin de se faire servir le même breuvage que la jeune femme qu'il avait suivi. Céleste, quant à elle, ne pouvait s'empêcher de le dévorer des yeux. Il émanait de lui une assurance folle.

  « Il est beau et il le sait. Fais gaffe, ma grande, ne fais pas l'idiote seulement parce que ça fait trop longtemps que tu ne t'es pas laissée aller à la gaudriole » se sermonna-t-elle.

Elle baissa rapidement le nez dans son verre, lorsqu'il se tourna de nouveau vers elle. Elle sentit son regard courir de son épaule nue à sa bouche qu'elle ne put s'empêcher de mordiller. Elle connaissait ce manège. Elle le connaissait même par cœur, mais elle n'était pas certaine de vouloir jouer ce soir, ici, avec lui. Elle l'entendit alors rire bouche fermée avant de porter son verre à ses lèvres.

Ce son, bon sang ce son, lui fit perdre toute bonne résolution. Elle leva donc son verre vers lui.

—     Cheers !

Surpris mais ravi, il fit tinter son verre contre le sien. Il ne le reposa que pour tirer sur sa cravate et défaire le premier bouton de sa chemise blanche.

—     And you, sir, do you also escape?

—     Yeah. And you were my perfect alibi.

Céleste sourit. Il entrait dans le jeu de rôle et elle trouva cela parfaitement amusant. Les présentations aux parents de Na-Kyung l'avaient mise mal à l'aise, et elle n'avait aucune envie de retourner à ce dîner. Là, tout de suite, maintenant, elle craignait que son ami fasse irruption pour l'y ramener. Elle avait envie de faire durer cette parenthèse.

—     Unfortunately, Naki will soon come to get me. He must be worried. I know him.

—     Well, let's go back together. fit-il en espérant qu'elle refuserait cette proposition.

Elle le sentit. Ils étaient sur la même longueur d'onde.

—     I am cold and I don't really want to...

Il retira sa veste pour la poser sur ses épaules. Il se pencha doucement à son oreille pour lui murmurer :

—     Let's go home, then, Mademoiselle.


Il aurait suffi qu'il l'appelle. Elle se serait retournée. Elle aurait alors lâcher cette main qui l'entrainait dans l'ascenseur. Il lui aurait prêté sa propre veste et son cousin aurait repris son costume qui valait bien un mois de salaire de Céleste.

Mais il resta muet. Sa gorge se serra. Il savait qu'il ne la reverrait pas avant le lendemain matin. Elle se faufilerait certainement sans bruit dans leur suite. Et, peut-être même qu'elle enverrait valser sa promesse et qu'elle se glisserait dans son lit pour se blottir contre lui. Il réprima un sanglot avant de faire demi-tour et de tomber nez à nez avec le duo star de la soirée : les grands-mères les plus complices qui soit.

—     Tu l'as laissée filer, idiot ! le complimenta âprement son aïeule.

—     Je te l'ai dit que ton plan était pourri à la racine, souffla la plus âgée à sa cadette. Prête à ramasser les pots cassés ?

—     Quel plan ? De quoi vous parlez ? Vous parlez de nous ? Halmeoni, qu'est-ce que tu manigances ?

Mais avant même d'avoir ses réponses, l'éphèbe plongea la tête entre les épaules pour filer reprendre sa veste abandonnée sur la chaise et rentrer à l'hôtel sans demander son reste. Les grands-mères comprirent que les choses leur échappaient définitivement.

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant