Avec Na-Kyung, la vie était paisible et agréable.
Celui qu'elle appelait de manière taquine « mon propriétaire » et sa grand-mère étaient ce qui se rapprochait le plus d'une famille pour elle. Cinq ans de cohabitation qui ne devaient pas durer. Cinq ans à s'attacher et à s'approprier petit à petit ce qui ne lui avait pas été destiné. Il y avait aussi ses petits vieux de la librairie à qui elle rendait visite. Elle était la petite fille chérie du quartier. Et elle adorait ça !
Depuis que son père avait fui de la maison pour aller vivre ses rêves à l'autre bout du monde, elle n'avait eu que sa mère. Une mère qui avait résisté comme elle avait pu, qui était restée debout, certes, mais qui n'avait plus jamais réussi à donner de l'affection à son enfant trop piégée dans la douleur de l'abandon qu'elle vivait et revivait sans cesse.
Quand on a six ans, on ne comprend pas tout. Mais Céleste avait ressenti le changement comme une déflagration. Son monde blanc, doux et chaud entre une maman et un papa aimants, son monde d'habitudes et de « bonne nuit, mon petit chat » avait été pulvérisé, un après-midi, au retour de l'école. Un petit papier glissé avec son quatre-heures déjà tout prêt sur la toile cirée de la table de leur cuisine. Une feuille pliée en quatre sous son verre de lait tout près de sa tartine de beurre à la confiture. Un « Quand tu seras grande, mon petit chat, papa te racontera tout. Mais sache que quoiqu'il arrive, il t'aimera toujours. »
A compter de ce jour, Céleste avait décidé qu'elle serait une grande. Pour comprendre vite et surtout ne plus compter sur personne.
Et elle avait grandi vite.
Elle avait entendu la vérité de son père qui n'avait pas été la sienne et encore moins celle de sa mère. Les « quoiqu'il arrive » avaient perdu tout leur sens, et l'amour, et bien, elle ne l'attendait ni le cherchait vraiment. C'était comme un vestige du passé.
Elle avait lu Demian de Hesse encore et encore. Et surtout ce passage qu'elle avait fait sien : « Et beaucoup demeurent cramponnés à l'un de ces débris et, douloureusement, s'accrochent à un passé qui ne reviendra plus, au rêve de paradis perdu, le pire des rêves, et le plus meurtrier. » La « solitude glacée de l'univers », Céleste l'avait ressentie et la ressentait encore souvent. Toutefois, elle était fière de la femme indépendante et heureuse de son sort qu'elle était devenue. Si elle avait besoin de bras autour d'elle, elle se servait. Elle ne quémandait rien. Et si elle voulait se lover contre Na-Kyung sur le canapé, le soir, en regardant Netflix, tant qu'il était d'accord, elle le faisait.
Son monde tournait rond et c'était parfait ainsi.
Ce dimanche soir-là, elle attendait que Na-Kyung ait fini de taper ses dernières lignes pour démarrer leur série. Elle lui avait chipé un grand tee-shirt blanc qu'elle portait au-dessus de son pantalon de pyjama gris à carreaux blancs, ses cheveux fraichement lavés, qui pour une fois n'étaient pas enfouis sous un bonnet, chatouillaient le cou du jeune homme. Il la repoussa d'un grognement à l'autre bout de leur petit canapé. Mais il ne put s'empêcher de lui jeter un regard curieux. Toujours en boule, les genoux repliés sur sa poitrine, elle faisait défiler les pages sur son téléphone. La lumière bleue éclairait son beau visage. Il aurait pu l'admirer longtemps ainsi. Sa seule porte de sortie était le sarcasme.
— Non, mais j'y crois pas ! Mademoiselle-les-pieds-sur-terre qui fait un test en ligne ?
— Mais c'est un test sur l'animal qui me correspond le mieux ! grogna-t-elle en faisant la moue et lui lançant des éclairs depuis ses yeux bleus.
— Pas besoin de faire le test. C'est la sangsue !!!
Elle lui jeta le premier coussin qui passa sous sa main.
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La Corbeille
FanficCéleste pense vivre exactement la vie qu'elle souhaite. Namjoon accepte la sienne avec philosophie. La vie pourrait les laisser tranquillement poursuivre leur chemin sans trop les bousculer mais c'est sans compter sur leur corbeille à papier, des gr...