Entre le rêve et le réveil

52 5 0
                                    

"[...] de ce jour-là quelque chose a commencé de changer. J'ai mieux respiré, j'ai détesté moins de choses, j'ai admiré librement ce qui méritait de l'être. Avant toi, hors de toi, je n'adhérais à rien."

Albert Camus, Maria Casares, Correspondance



Depuis le porche, Céleste avait vu venir celle qu'elle estimait être sa grand-mère avec soulagement. Elle était une. Elle était Céleste de Paris, et Céleste qui cherchait les réponses qu'elle avait longtemps refusé d'entendre.

Elle aurait aimé être mal accueillie par son père ; qu'il soit distant ou fâché. Elle aurait eu alors une excellente excuse pour laisser éclater sa rancœur et sa colère. Ce ne fut pas le cas. Il lui avait tendu les bras en soupirant un « Enfin, te voilà ! Et pas seule, à ce que je peux sentir... ».

Oui, elle savait qu'elle était attendue. Depuis des années. Elle savait que son père n'avait jamais renoncé à elle. Mais elle savait aussi que cela ne suffisait pas. On n'élève pas une enfant avec des intentions, des mots et des chèques réguliers.

Parce que la confrontation avait trop longtemps été repoussée, parce que, malgré elle, elle jalousait son demi-frère et cette belle-mère bien trop compréhensive, parce que le souvenir de sa visite impromptue chez Namjoon était encore cuisant et douloureux, elle avait, pendant le tour de la maison où elle devait faire comme chez elle, vidé son sac. D'abord doucement, à mi-voix, puis de plus en plus fort.

—  Papa... tu sais, je ne lis jamais aucune de tes lettres...

—  J'ai cru comprendre, mon p'tit chat.

A ce surnom, elle s'était tendue tout en sentant les larmes lui monter aux yeux.

— Tu m'as abandonnée. Je me suis sentie abandonnée ! J'en fais encore des cauchemars !

Il montrait fièrement la chambre, « sa » chambre, celle qu'elle n'avait jamais encore vue ni voulu utiliser. Son sourire se fana. Il s'assit sur le bord du grand lit recouvert d'une couverture en patchworks et tapota pour qu'elle prenne place près de lui.

Les grands yeux bleus de Céleste ne venaient pas de nulle part. Son père avait les mêmes. Un peu plus ternes, à présent. Elle essaya de ne pas trop y penser. Mais elle se demanda si le petit être à venir en hériterait, s'il ne serait pas préférable qu'il ait le regard doux de son père... Non ! Aucune de ces deux options ne la rassurait !

— Je suis si désolé, Céleste. Je n'ai jamais voulu te faire du mal...

— Vraiment ! Et le petit mot sous ma tartine au retour de l'école ? Tu pensais sincèrement que ça passerait crème ? Je n'avais que six ans !

— Je sais, mon p'tit chat... mais tu comprends maintenant que la vie n'est pas toujours facile et que certains sont plus ou moins bien armés pour l'affronter. Je traversais une période très compliquée, poursuivit-il en regardant les mains de sa fille si petites dans les siennes. J'ai cru que partir était la meilleure chose pour nous trois. Je réalise maintenant que la manière dont je l'ai fait était une erreur. Même si je ne regrette pas ma décision...

— Pourquoi es-tu parti ? demanda Céleste tant bien que mal.

— Ta mère a dû te le raconter...

— Non ! Elle tourne en boucle sur ta lâcheté... le jour où tu es parti, j'ai perdu mon père et aussi ma mère !

— Je me débattais, j'étouffais dans la vie que j'avais alors et je ne voyais aucune issue. Parfois, on peut être confronté à des choix difficiles même si cela doit faire souffrir ceux que l'on aime le plus.

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant