Namjoon

77 16 12
                                    

"Désapprenez donc la mélancolie et toutes les tristesses..."

Les doigts jouant sur la lanière de cuir de son sac de voyage, Namjoon écoutait son interlocuteur d'une oreille distraite. La journée avait été affreusement longue et le week-end se promettait d'être ensoleillé. Jin lui faisait de grands signes depuis le bout du couloir se souciant peu d'être discret. A la vue de son camarade de longue date gesticulant à s'en déboiter les épaules, ses fossettes se creusèrent et ses yeux se plissèrent. Avec quelques mots plutôt adroits, il réussit à prendre congé de son manager tout en lui promettant de rattraper le planning en retard, dès son retour, mardi.

—     On y va, maintenant ? s'excita l'aîné qui ne tenait vraiment plus.

C'était la première fois en dix ans qu'ils partaient en week-end rien que tous les deux. Namjoon s'était laissé convaincre par son aîné, mélange agaçant, ou attendrissant selon l'humeur du moment, d'exubérance et de timidité.

Impossible, alors, de lui faire avouer qu'il craignait d'être malade en mer et de devoir le supporter deux jours et trois nuits durant. Mais 2026 était une année de nombreux changements, d'heureuses nouvelles et de surprises, alors, il s'était laissé convaincre. Une expérience de vie en plus ! Au pire, il en tirerait bien quelque chose pour en faire des paroles d'une chanson sur un mal d'amour quelconque. Il s'était persuadé qu'il n'écrivait jamais mieux que lorsqu'il souffrait, un peu, mais pas trop. Trop de souffrances le terrassait. Mais un peu de mélancolie lui déliait la plume.

—     Hyung, il fait encore frais. On risque d'avoir froid en mer. Je vais repasser par la maison pour prendre quelques vêtements supplémentaires.

—     Hors de question ! Tu vas bourrer ton sac de bouquins en tout genre et de friandises ! Au pire, t'empileras les couches de sweats...

—     Mais...

—     Y a pas de mais qui tiennent ! avait répondu Jin en attrapant par la main ce grand gaillard qui cachait encore un garçonnet en lui.

Avoir en partie échappé au service militaire, avait libéré Jin, mais aussi tous les autres membres de son groupe, de cette épée de Damoclès trop longtemps suspendue au-dessus de leurs têtes. Ce « partira, partira pas» avait failli les rendre fous !

Quant à Namjoon, il vivait, ces derniers mois, une sérénité qui lui avait manquée voire même qu'il n'avait jamais vraiment vécue. Il l'attribuait à la maturité et à ses dernières réussites : le permis de conduire, son premier album solo et l'ouverture de son café-galerie d'art. Il savait cet état fragile et transitoire. Le bonheur ne dure pas et poursuit tranquillement son mouvement de balancier irrégulier. Alors, il voulait profiter de ce temps de grâce et expérimenter le plus possible.

Mais ce n'est pas tout ce qui l'avait décidé.

Un peu malgré eux, ils s'étaient éloignés l'un de l'autre car ils ne se voyaient plus autant qu'avant. Leurs pères avaient beau être les meilleurs amis du monde, leurs rejetons menaient leur vie chacun de leur côté. Jin tentait bien de maintenir le lien en venant déposer des cadeaux de manière impromptue. Des fruits de la ferme, un bouquin, un gadget hilarant, peu importait du moment que cela fournissait une excuse pour faire irruption chez ses cadets et se rappeler à leur bon souvenir. Mais cela restait insuffisant. Namjoon en avait cruellement conscience. Et il tenait à leur amitié qui se rapprochait, certaines fois, de la fraternité sans trop savoir comment s'y prendre pour ne pas la laisser se déliter.

C'est ainsi qu'il s'était retrouvé à faire son sac pour passer deux jours sur le bateau de Jin. Un skipper les attendait à Busan au yacht club.

En s'engouffrant dans la Classe-G flambant neuve, Namjoon remarqua le sentiment proche de la jubilation qui l'habitait. Il adressa alors un sourire mutin à Jin qui lui répondit par un clin d'œil complice.

La Corbeille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant