Ceux dont on ne dit pas le nom

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Namjoon se souvenait de tout.

Il se rappelait les voiles des rideaux de sa maison de Busan soufflés par le vent marin et son rire cristallin, son nez qu'elle enfouissait dans son cou pour s'endormir et son souffle paisible, les compliments des ajummas à leur sujet et sa main qui se faufilait discrètement dans la sienne, le bruit fracassant des vagues et celui de ses pleurs lors de ses fameuses nuits de cauchemars.

Céleste aurait voulu tout oublier.

Elle aurait aimé effacer son regard émerveillé sur elle, les paysages admirés ensemble et l'odeur de sa peau sur la sienne, les souvenirs partagés et les souhaits avoués, et cette autre chose qui grandissait en elle et qui n'avait pas été désirée.

Ils avaient osé être fous de bonheur. Cela s'effacerait-il un jour ?

*

A peine la voiture laissée devant une maisonnette blanche au toit bleu, Namjoon avait entraîné Céleste, étourdie, à l'intérieur de la petite cour carrée.

Elle sourit le voyant sautiller comme un enfant et chercher maladroitement sa clef pour enfin découvrir que la maison était restée ouverte. Entre deux exclamations de satisfaction, virevoltant d'une fenêtre à l'autre pour tout ouvrir, il lui expliqua que sa voisine, une petite grand-mère qu'il avait avertie de sa venue, était certainement venue faire un brin de ménage. De toute façon, on ne fermait jamais rien ici. Céleste avait pu le constater rapidement ; les portes et le coffre de la voiture étaient restés grand ouverts.

Ici, c'était le petit village de pêcheur de Gongsu avec son port modèle réduit et son phare rouge.

La maison de Namjoon n'attirait pas les regards. Il n'avait pas choisi un quartier résidentiel privilégié de Busan comme nombre de célébrités. Elle ne payait pas de mine de l'extérieur. Mêmes murs blancs, même toit bleu, même petite cour carrée à l'avant que les maisonnettes voisines.

C'était tout autre chose à l'intérieur !

Il lui avait raconté comment il avait fait appel à un architecte en vogue, Teo Yang, plutôt habitué des grands hôtels. Ce dernier avait un goût immodéré pour les meubles et les bâtiments traditionnels qu'il combinait avec finesse au design contemporain. Céleste appréciait le résultat final ; on se sentait bien dans ce lieu. Les pièces étaient petites mais lumineuses et chaleureuses.

Elle était perdue dans la contemplation du jardinet à la japonaise situé à l'arrière de la maison, laissant les voiles des fenêtres voler autour d'elle comme de grandes ailes diaphanes, quand elle sentit deux grands bras s'enrouler autour de sa taille et un menton se poser sur son épaule droite.

— First step of our trip validated, Mademoiselle?

Céleste frémit et hésita à se dégager. Recevoir des gestes de tendresse sans en être à l'initiative, elle ne connaissait pas. Elle ne connaissait plus. Alors, elle se rappela ce qu'elle avait souhaité la nuit dernière :

N'accorder aucun regard à celui qu'elle abandonnait, fuir la monotonie, et oublier un temps qui elle était.

Tout son corps se détendit et son visage laissa place à un sourire timide.

— Validated.

A partir de cet instant, ce fut elle qui fut intenable. Bondissant d'un bout à l'autre de la maison, posant mille et une question, pressant son compagnon d'escapade pour aller voir le coucher du soleil.

— We won't see the sunset from here. But if we have the energy, we will be able to admire a magnificent sunrise.

Vinrent leurs heures les plus compliquées. Celles où il n'y avait rien pour meubler les silences et les vides entre eux. Ils furent le temps de cette soirée comme une balance mécanique que l'on équilibre délicatement et qui, une fois ajustée, continue à osciller avant de retrouver son aplomb.

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